Le documentaire écrit et réalisé par Audrey Crespo-Mara, son épouse, présentatrice du JT sur la Une, révèle un Thierry Ardisson luttant contre la maladie et faisant défiler sa vie.

TF1 diffusait ce mercredi soir le documentaire « La face cachée de l’homme en noir », sur Thierry Ardisson et réalisé par sa femme, la journaliste Audrey Crespo-Mara. Capture d'écran/TF1
TF1 diffusait ce mercredi soir le documentaire « La face cachée de l’homme en noir », sur Thierry Ardisson et réalisé par sa femme, la journaliste Audrey Crespo-Mara. Capture d’écran/TF1

On ne l’a jamais vu autant pleurer. Ni même pleurer tout court. « Il suffirait que la maladie explose, pour que j’en aie pour six mois ». Fin 2024 ou début 2025, Thierry Ardisson a eu plutôt de bonnes nouvelles de son cancer. Mais de nouveaux nodules sont apparus. « Ah ouais. Le foie va bien, maintenant c’est les poumons. Il y a des rebondissements, c’est comme dans les films. Mais je vais pas mourir tout de suite hein? », demande-t-il à son cancérologue. Celle-ci se fige, soudain pétrifiée par la franchise bonhomme et impitoyable de son célèbre patient. Ardisson a eu le dernier mot. Comme toujours. Il pose les questions, il a aussi les réponses. La dernière image de « La face cachée de l’homme en noir », écrit et réalisé par Audrey Crespo-Mara, présentatrice du JT de TF1 et compagne de l’animateur-concepteur disparu le 14 juillet, est humaine, terriblement humaine.

Il y a deux films en un dans ce document très attendu et délivré à la surprise générale très vite, avant même l’enterrement, ce jeudi, de Thierry Ardisson. L’un sur sa maladie, incroyable de vérité et d’humanité, à pleurer -nous comme lui- mais finalement très bref, au début et à la fin. Entre les deux, une biographie assez classique du créateur de « Lunettes noires pour nuits blanches », « Tout le monde en parle » ou « Paris dernière ».

Une première image sur un lit de douleur. Thierry Ardisson souffre depuis 2012 d’un cancer du foie. Il est soigné à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Il est en chaussettes. Noires, forcément. Mais en chaussettes. Évidemment, on ne l’a jamais vu comme ça. Aussi nu. Battant -il dit alors croire encore « à la radiothérapie », un ultime traitement- il n’a rien à perdre, mais plus grand-chose à gagner.

Audrey Crespo-Mara a écrit et réalisé « La femme cachée de l’homme en noir » avec lui, pour lui. Et vêtue de noir elle aussi, comme lui. Pour lui aussi, elle le diffuse juste après son décès survenu le 14 juillet, trop vite diront certains, avant même les obsèques religieuses prévues ce jeudi après-midi à Paris. Un dernier coup. Un gros coup. Pour un homme de coups qui a révolutionné la télé à coups d’interviews renversantes.

On est pris, surpris, d’emblée, à la gorge, aux tripes. Ses proches qui ne parlent jamais témoignent : son petit frère, ses enfants. Un album de famille raconté par un pubard fan de Gainsbarre, qui écrit ses ultimes pages.

Les curés chez qui il a été envoyé en pension l’appelaient « le paon ». « Je suis assez vantard, un peu prétentieux », lâche Ardisson comme une évidence. Et un cérémonial.

Tout est millimétré dans l’ultime, ou première campagne promo post-mortem de Thierry Ardisson. À la seconde près. C’était son heure. 22h50, le début de « Tout le monde en parle », de « Paris dernière » ou de tant d’émissions de l’homme du money time, de nos fins de soirées. Avec lui, jamais nous ne nous sommes couchés de bonne heure. Dans une vie, et même une mort, qui ne laissaient rien au hasard, il n’y en avait aucun non plus dans cette diffusion post-mortem, à chaud, si l’on ose dire. Lui ose tout. Même nous offrir comme ultime aveu : « Moi je pense que sucer c’est tromper, contrairement à Rocard ». On a le « Etre ou ne pas être, telle est la question » qu’on peut.

Amoureux et apaisé

C’était plus lent que ses émissions. Plus bienveillant, puisqu’il ne parlait que de lui. Amoureux et apaisé. Tant de photos en blanc de l’homme en noir jeune premier qui n’avait pas encore trouvé son uniforme… pas si éloigné de la soutane des curés qui l’ont élevé.

« Ce monde de la nuit, je ne l’ai jamais quitté. La fête, la transgression, tout est venu de là », lâche-t-il, lui dont la vraie vie a débuté à 17 ans comme DJ du Whisky à Gogo, la boîte de Juan-les-Pins. Puis le Palace, à nous Paris. « J’ai la vache qui pleure, pas la vache qui rit » : on entend le rire d’Audrey Crespo-Mara derrière la caméra quand son mari lâche ses sanglots, puis une vanne pour les faire passer, face aux images de sa jeunesse si festive. « Je pleure parce que c’était beau », dit-il.

Le doc reprend, assez classique finalement, dans le défilé linéaire d’une carrière. Plus de retours au présent ou d’allusions à la maladie. Un CV qui défile ligne à ligne. L’écouter disserter très sérieusement du fromage Samos 99, son premier slogan à l’agence TBWA, c’est peut-être curieux juste entre son décès et sa mise en bière. Sa photo avec moustaches à l’époque valait le détour. « Être vieux c’est grave, être pauvre c’est pire » -toujours la punchline- dit-il de son goût des belles choses, de la belle vie, les beaux appartements.

Cette moustache et le foulard autour du cou, les cheveux sur les épaules, on n’était pas prêt. De sa tentative de suicide de jeunesse par amour déçu, il dit : « Je me suis ouvert les veines dans la baignoire. L’eau était de plus en plus rouge. C’était assez joli d’ailleurs ». Indécrottablement drôle, distant. Il promène et noie ses dépressions de Bali à Santa Barbara. Une vie de château, mais qu’il ne doit qu’à lui-même, pas à ses parents.

« Je ne vais pas dire que je suis un chrétien exemplaire », résume cet homme de mots qui a trouvé dans la religion un patch anti-héroïne. Les cheveux raccourcissent, la moustache est rasée, le business arrive. Et ses pubs de 8 secondes -déjà un concept, moins cher que les 30 secondes habituelles- qui se faufilent à l’écran. Il trouve le slogan « Lapeyre, y en a pas deux » en fumant un pétard dans son bain. « C’est comme une éjaculation, c’est jouissif, tu sais que tu as trouvé l’idée ». Ainsi parlait Ardisson.

La lettre d’une institutrice qui évoque sa sensibilité le fait pleurer à chaudes larmes, lui qu’on n’aurait jamais cri si lacrymal. « Elle m’a aidé. Les femmes m’ont aidé », confie-t-il. « La première, c’était ta mère? », questionne son épouse. « Non j’ai pas été aidé par ma mère », on entend « pas été aimé », dans son murmure. Le grand garçon triste derrière son masque cynique.

Le final est splendide. Les images du mariage entre Ardisson et Crespo-Mara unis par Hidalgo. « A 60 ans d’habitude on plie les gaules. Moi je me suis lancé dans une histoire d’amour ». Il est frais, bravache, étonné, et d’après les proches eux-mêmes, sa plus belle oeuvre, c’est cette romance de plus de quinze ans. Leur complicité apparaît soudain dans ces images volées, offertes par eux-mêmes. L’important c’est d’aimer.