LE SABOTAGE D’UN GÉANT : COMMENT EDF, JOYAU NUCLÉAIRE FRANÇAIS, A ÉTÉ DÉTRUIT AU NOM DE LA CONCURRENCE

Article: LE SABOTAGE D’UN GÉANT : COMMENT EDF, JOYAU NUCLÉAIRE FRANÇAIS, A ÉTÉ DÉTRUIT AU NOM DE LA CONCURRENCE

L’énergie est le sang qui fait battre le cœur d’une nation. Pour la France du 21e siècle, cet élan devait être l’atome, le gage de sa grandeur et de son indépendance. En 1946, la création d’EDF a marqué la naissance d’un joyau national, un fleuron industriel, capable de fournir à la France et à l’Europe une électricité abondante et bon marché. Il y a à peine 15 ans, ce géant était le premier producteur d’électricité nucléaire en Europe et le second dans le monde, un acteur international respecté qui assurait un avantage compétitif imbattable à toute notre industrie. Aujourd’hui, l’entreprise est à genoux.

Soit par des décisions politiques à courte vue, soit par une trahison industrielle ou des réformes absurdes venues de Bruxelles, 15 années ont suffi pour transformer notre arme stratégique en un cas d’étude de désastre industriel. Derrière la crise énergétique française se cache l’histoire d’un lent et méthodique sabotage. La question n’est plus de savoir si EDF va s’en sortir, mais de savoir si la France a les moyens – et le courage politique – de stopper le pillage et de payer le prix de la renaissance.

L’Asphyxie Organisée : La Tyrannie de la Concurrence

Le principal instrument de ce déclin porte un nom technocratique et sinistre : l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique). Sous le couvert de la « libéralisation du marché de l’énergie » voulue par l’Union européenne, cette mécanique, en vigueur depuis 15 ans, a obligé EDF à vendre son électricité à prix fixe et cassé, soit 42 € le MWh, à ses propres concurrents. Ces concurrents, pour la plupart, ne produisent rien — comme certains n’existaient même pas avant l’instauration de l’ARENH, tels qu’Equator ou Home Energy. Ils achètent à EDF à un prix ridiculement bas, le revendent avec une marge confortable aux clients qu’ils lui ont volés et prospèrent ainsi sur le dos d’un fleuron national.

EDF, censée être le moteur de la croissance française et le bouclier des consommateurs, est devenue, pendant une décennie et demie, la banque d’électricité gratuite de fournisseurs privés tels que TotalEnergies, Engie ou Eni. La Cour des Comptes estime que ce mécanisme a coûté à l’entreprise entre 15 et 17 milliards d’euros de manque à gagner depuis 2011. Ce pillage n’est pas un cas isolé, mais le symptôme d’un déclin français organisé. La France est désormais le cancre de l’Europe, avec une performance boursière deux à cinq fois moins bonne que ses voisins, notamment l’Allemagne, qui achète désormais notre électricité nucléaire tout en dénonçant l’atome.

L’absurdité a atteint son paroxysme lors de « l’année noire » de 2022. Près de 30 réacteurs étant à l’arrêt pour maintenance ou problèmes techniques, EDF a dû acheter de l’électricité sur le marché européen à des prix pouvant dépasser 500 € le MWh pour répondre à la demande, tout en restant contrainte de la revendre à ses concurrents à 42 €. L’entreprise a racheté sa propre énergie à prix d’or. En une seule année, 26,5 milliards d’euros se sont envolés. Une somme qui représente deux EPR neufs ou le maintien en bon état de nombreuses installations. Le prétexte de l’Europe était de « protéger la concurrence » d’un quasi-monopole français. Résultat : en 15 ans, les prix de l’électricité ont doublé.

L’Offensive Contre l’Hydraulique et la Facture du Déclin

Ce schéma d’affaiblissement s’est ensuite étendu à l’hydraulique. Bruxelles a tenté d’obliger la France à ouvrir à la concurrence ses barrages (80 % gérés par EDF), au motif que c’est contraire aux lois européennes. Pendant près de vingt ans, l’Europe a bloqué toute modernisation de ces installations. Après de longues négociations, la France a réussi à garder la gestion de ses barrages, mais a dû payer un lourd tribut : le nouvel « ARENH hydro » contraint EDF à céder un tiers de sa production hydroélectrique aux concurrents européens à prix préférentiel, rien que pour avoir le droit de conserver et d’exploiter ses propres installations. C’est le prix à payer pour garder un outil qui alimentait gratuitement nos vallées et nos usines. De plus, il va falloir trouver 13 milliards d’euros pour réparer des installations hydroélectriques qui n’ont pas vu un plombier depuis deux décennies.

Le désastre de l’ARENH n’est qu’une partie d’un tableau bien plus large : celui d’un sous-investissement chronique et de décisions industrielles désastreuses. L’âge moyen des 56 réacteurs français est de 37 ans. Si « vieux ne veut pas dire foutu », leur maintien en vie nécessite des travaux colossaux. On parle de 90 milliards d’euros de réparations et de prolongation de leur durée de vie jusqu’en 2040. Mais cet argent, EDF ne l’a pas. L’entreprise, endettée à hauteur de 65 milliards d’euros, doit par ailleurs financer la construction des nouveaux réacteurs.

Le projet phare du renouveau nucléaire, l’EPR, symbolise à lui seul la déroute. Le réacteur de Flamanville, qui devait être le fer de lance de l’avenir, a été livré avec 17 ans de retard et un surcoût de 16 milliards d’euros par rapport au devis initial. Quand on sait qu’il y en a 14 autres à construire et à mettre en service, le coût de la construction des nouveaux réacteurs, les EPR2, atteint déjà 115 milliards d’euros. Pour remettre l’ensemble du système français sur pied — entretenir le parc existant, construire les EPR2, moderniser le réseau de distribution d’Enedis (100 milliards d’euros) et gérer l’aval du cycle (30 milliards d’euros) —, l’addition monte à une somme astronomique : 460 milliards d’euros. C’est la facture pour réparer notre système de production d’énergie saboté par l’ultralibéralisme.

L’État Stratège Aboli : Quand Paris Sabote son Arme Économique

Si Bruxelles a « crucifié » EDF au nom de la concurrence, le coup de lance est bien venu de Paris. Depuis 15 ans, le gouvernement français a fait preuve d’un manque de respect sidérant envers son arme économique numéro 1, fruit de 60 ans de construction nationale. EDF a été sciemment affaiblie pour l’adapter à un modèle européen libéral qui ne correspond en rien à la logique d’un service public industriel.

Au-delà de l’acceptation initiale de l’ARENH, la France a commis l’irréparable en 2014, en cédant les turbines stratégiques Arabelle d’Alstom à l’américain General Electric, privant EDF et la filière nucléaire française de savoir-faire essentiels. Jadis leader mondial du nucléaire, EDF dépend maintenant de partenaires étrangers pour son développement technique. L’entreprise est devenue un « instrument budgétaire » piloté par des technocrates, non plus par des ingénieurs. À chaque crise, on lui demande de geler les tarifs pour protéger le consommateur, d’absorber les coûts pour amortir le choc, ou de reporter les investissements pour équilibrer le budget de l’État, laissant les équipes sur le terrain faire des miracles avec des bouts de ficelles.

La nationalisation totale de 2023, présentée comme le retour de l’État stratège, n’a été qu’une reprise de contrôle politique. L’État a repris 100 % du capital, non pas pour libérer EDF et lancer un plan industriel massif, mais pour continuer à l’utiliser plus facilement comme un levier budgétaire et politique, quitte à réclamer des dividendes alors même que l’entreprise est exsangue. Aujourd’hui, les plans de relance de l’EPR2 à 60 milliards d’euros annoncés par le gouvernement sont passés à 115 milliards, sans qu’aucun financement ne soit encore bouclé et que la filière ne manque cruellement de main-d’œuvre qualifiée.

Le Pari de la Renaissance : Sortir de la Logique Absurde

L’horizon offre néanmoins un mince espoir. L’ARENH, ce mécanisme dévastateur, prend fin le 31 décembre 2025. Dès le 1er janvier 2026, EDF ne sera plus tenue de vendre son électricité à prix cassé. C’est le moment idéal pour tenter de reprendre le contrôle de notre électricité.

Le financement de l’immense facture de 460 milliards d’euros nécessitera un effort collectif. L’État ne peut plus demander à EDF de vendre à perte tout en réclamant des dividendes. La Cour des Comptes préconise que l’État prenne à sa charge au minimum la moitié des coûts, notamment via des prêts bonifiés pour la construction des EPR2, en renonçant à ses revenus d’actionnaire unique. Les consommateurs, eux aussi, vont être sollicités par de nouvelles hausses tarifaires, mais pour la première fois en quinze ans, cet argent n’ira plus engraisser les concurrents.

Mais la vraie solution réside dans le courage politique. Celui de dire « non » aux règles de Bruxelles qui ont systématiquement profité aux concurrents de la France. L’énergie abondante, stable et peu chère est le moteur de tout : elle permet aux usines de tourner, aux data centers d’exister, à l’innovation de naître et de redonner un avantage compétitif imbattable à notre industrie. Reprendre EDF, s’en servir comme d’une puissance retrouvée pour inonder le pays d’électricité propre et bon marché, est la clé de la Renaissance française. C’est un pari colossal, mais c’est l’ultime chance de cesser de gâcher un trésor que nos aïeux ont mis 60 ans à bâtir au nom d’une idéologie ultralibérale. Sans énergie, il n’y a pas d’économie.