Au Bord de l’Éclatement : Entre Dette, Paralysie Politique et Sécession, la Belgique Traverse Sa Pire Tempête en Un Siècle

Au Bord de l’Éclatement : Entre Dette, Paralysie Politique et Sécession, la Belgique Traverse Sa Pire Tempête en Un Siècle

 

Pendant des décennies, la Belgique a incarné la discrétion et la stabilité au cœur de l’Europe. Voisine tranquille de la France, elle était citée pour ses artistes, sa gastronomie, ses bandes dessinées ou ses bières, mais jamais pour être une source d’inquiétude majeure. Le Royaume des gaufres et des frites semblait naviguer en eaux calmes, un carrefour pacifique entre l’Europe germanique et l’Europe romane. C’est d’ailleurs pour sa neutralité et sa réputation de stabilité qu’elle a accueilli le siège de l’Union européenne et de l’OTAN.

Pourtant, derrière cette façade de pays sage, tout ne va plus. L’ambiance est devenue exécrable. L’automne 2024 marque une période de bas historique pour le royaume. La Belgique est désormais prise dans une tempête sans précédent, traversant une crise simultanée qui est à la fois politique, économique, sociale et identitaire. Les mauvaises nouvelles s’enchaînent : record de faillites d’entreprises, blocages paralysant les aéroports et les rues, placement sous procédure de déficit excessif par la Commission européenne, et dégradation de la dette souveraine par les agences de notation, au même titre que la France. La Belgique est secouée par une crise d’identité qui menace la cohésion nationale.

 

Un Géant Industriel Pris dans un Étau Économique

 

L’histoire de la Belgique est celle d’une puissance. Après sa révolution en 1830, le pays a connu une explosion industrielle fulgurante au XIXe siècle. Grâce notamment au charbonnage, elle a été la deuxième puissance industrielle mondiale et le premier exportateur de fonte et d’acier, une position maintenue pendant près d’un siècle. Aujourd’hui encore, le tissu économique est solide, abritant des champions mondiaux comme le brasseur AB InBev (le plus gros au monde), le laboratoire pharmaceutique UCB ou le chimiste Solvay. Le pays affiche d’ailleurs, sur le papier, une croissance encore positive (autour de 1,3 %) et un taux de chômage historiquement bas.

C’est là que réside le premier paradoxe : un pays riche qui entre en chaos. La réalité économique est alarmante. La croissance ne repose plus que sur la demande intérieure, car les clients traditionnels, notamment l’Allemagne et la France, achètent moins. Le pays ne produit pas plus, mais consomme. Pendant ce temps, des milliers de petites et moyennes entreprises sont étranglées par des coûts de production trop élevés, une fiscalité lourde et une énergie qui reste coûteuse. Résultat : un record de faillites qui n’avait pas été atteint depuis cinq ans.

À cela s’ajoute l’effet pervers de l’indexation automatique des salaires, une tradition belge. Si elle protège le pouvoir d’achat des citoyens face à l’inflation, elle a pour effet immédiat d’augmenter le coût du travail. Les entreprises exportatrices, déjà fragiles, perdent en compétitivité face à leurs concurrents néerlandais et allemands. Enfin, la dépendance énergétique reste massive, avec 62 % de la consommation encore basée sur les énergies fossiles, une vulnérabilité critique en période d’instabilité géopolitique.

 

La Fracture Identitaire : Le Spectre de la Sécession

 

Le problème n’est pas seulement économique ou financier, il est avant tout politique et identitaire. La Belgique est une fédération complexe, un véritable « mille-feuille institutionnel » où coexistent trois régions et trois langues. Les tensions entre la Flandre (néerlandophone et économiquement plus forte) et la Wallonie (francophone et plus dépendante des transferts fédéraux) n’ont jamais été aussi aiguës.

La Flandre, portée par des partis autonomistes, réclame toujours plus d’indépendance, tandis que la Wallonie plaide pour la solidarité nationale. Entre les deux, Bruxelles, majoritairement francophone mais enclavée en territoire flamand, joue les arbitres, ou les otages. Cette mésentente chronique se traduit par un vide politique dont la Belgique est tristement familière. En 2010, le pays avait battu un record mondial avec 541 jours sans gouvernement fédéral, un symptôme de cette incapacité à coordonner des réformes de fond.

Aujourd’hui, les discours identitaires se durcissent et le mot « sécession », autrefois tabou, est lâché. Le scénario le plus souvent envisagé est un éclatement : une Flandre indépendante, et une Wallonie résiduelle qui devrait trouver un statut pour Bruxelles, peut-être une union appelée Wal-Brux, ou un district européen administré par l’UE, comparable à Washington DC.

 

Les Conséquences Dramatiques d’un Éclatement

 

La sécession flamande unilatérale, si elle devait se produire, provoquerait une reconfiguration politique, économique et juridique d’une ampleur inédite en Europe occidentale.

1. Le Choc Économique : La Flandre cesserait de financer la Wallonie. Cette dernière, privée des transferts fédéraux, serait immédiatement confrontée à un choc budgétaire et social comparable à ceux vécus par les pays post-Tchécoslovaquie ou post-Yougoslavie. La Flandre, quant à elle, gagnerait en autonomie fiscale mais devrait assumer une instabilité monétaire et diplomatique au départ.

2. La Fin de la Monarchie : L’éclatement impliquerait la disparition du Roi des Belges en tant que chef d’État fédéral. La monarchie, symbole d’unité, serait abolie ou éclatée, et les constitutions flamande et wallonne devraient être entièrement réécrites.

3. Une Crise Européenne : La désintégration d’un État fondateur de l’Union européenne et le siège de ses institutions (ainsi que de l’OTAN) serait perçue comme une crise de gouvernance majeure, menaçant la stabilité même du Benelux.

L’Austérité Choc : La Fin de l’État-Providence Historique

 

Au-delà de la menace d’éclatement, la Belgique doit faire face à l’urgence budgétaire. Avec un déficit qui dérape à 5,2 % du PIB et une dette qui frôle les 106 %, Bruxelles est contrainte par la Commission européenne de trouver des solutions drastiques. L’objectif est de ramener le déficit à 2,5 % d’ici 2026.

Pour y parvenir, le gouvernement planche sur un plan d’austérité impopulaire, incluant le relèvement progressif de l’âge de la retraite et la mise en place d’un nouvel impôt sur les plus-values.

Mais la mesure la plus explosive est la suppression des allocations chômage à vie. Pendant des années, la Belgique a fait figure d’exception historique, versant des allocations jusqu’à l’âge de la retraite. Des dizaines de milliers de Belges sont au chômage depuis plus de vingt ans. L’État-providence a cependant décidé d’y mettre fin. Les chômeurs de longue durée disposeront désormais de deux ans, et les jeunes diplômés de douze mois, pour se trouver un emploi ou se former, avant de devoir se contenter d’aides sociales moins élevées.

Cette annonce a mis les Belges en colère. Une journée d’action le 14 octobre a été émaillée de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Les observateurs craignent que cette mesure brutale n’entraîne un engorgement des administrations, une hausse du taux de pauvreté et un effet néfaste sur la consommation, et donc sur la croissance.

 

Une Résilience à Épreuve

 

La Belgique actuelle est un ensemble de paradoxes : une économie en croissance prise dans un chaos politique, un pays riche mais criblé de dettes, une seule nation, mais deux peuples désunis.

Pourtant, malgré la tempête, la Belgique a toujours fait preuve d’une résilience historique face aux occupations, aux guerres et aux crises économiques. Sa position stratégique au cœur de l’Europe, son tissu industriel solide et ses universités continuent de produire de la valeur. Le pays n’a pas dit son dernier mot.

Mais tous les espoirs de redressement reposent désormais sur le vote d’une nouvelle loi de finance. Ce vote, attendu d’un jour à l’autre, pourrait soit stabiliser les finances publiques et rassurer l’Europe, soit, si la paralysie politique persiste, approfondir la fracture et accélérer l’éclatement d’un État fondateur. L’équilibre du Royaume des Belges n’a jamais été aussi précaire.