À Limerzel, Marie et Gabrielle vont reprendre une ferme avec l’aide de la Ciap du Morbihan
Marie Seiller et Gabrielle Joly vont reprendre une ferme en élevage et production laitière à Limerzel. Une installation facilitée par l’accompagnement de la Coopérative d’installation en agriculture paysanne (CIAP) du Morbihan.
Toutes deux ont suivi un cursus agricole. Un brevet professionnel de responsable d’exploitation (BPREA) pour Gabrielle Joly, qui travaillait jusqu’ici dans la gestion des déchets, et un master en agronomie pour Marie Seiller, qui exerçait dans le milieu associatif. Ensemble, les deux jeunes trentenaires vont reprendre une exploitation laitière bio à Limerzel (Morbihan). Nous souhaitions avoir une ferme à taille humaine, pour travailler avec le rythme de la nature, tout en limitant notre impact sur l’environnement
, expliquent les futures paysannes, soucieuse de favoriser la biodiversité
et désireuses de produire une alimentation de qualité.
Leur installation, prévue début 2027, à l’issue du processus de reprise, a été rendue possible par la Coopérative d’installation en agriculture paysanne du Morbihan (Ciap 56), qu’elles ont découvert par l’entremise de l’association La Marmite, de Malansac. La Ciap propose une formation d’un an, constituée…
Il y a des histoires qui commencent par une fin. Celle-ci aurait pu être l’une d’elles. À Limerzel, petite commune nichée dans le Morbihan, une ferme de plus se préparait à voir ses volets se fermer. Un agriculteur partant à la retraite, pas de repreneur familial, des terres convoitées. Le scénario classique, joué et rejoué dans les campagnes françaises, qui voit le nombre d’exploitations chuter et le paysage agricole se transformer, souvent pour le pire.
Mais à Limerzel, le silence n’aura pas lieu. La terre va continuer à être travaillée, les bêtes à pâturer, et les légumes à pousser. C’est l’histoire de Marie, 32 ans, et Gabrielle, 34 ans. C’est l’histoire d’une renaissance.
Il y a deux ans à peine, Marie gérait des budgets de marketing digital à Rennes, et Gabrielle était graphiste freelance à Nantes. Leurs mains tapaient sur des claviers, leurs yeux fixaient des écrans. Aujourd’hui, leurs mains sont plongées dans la terre bretonne, et leurs yeux scrutent la météo. Elles vont reprendre la ferme.
Leur aventure n’est pas un conte de fées romantique, un “retour à la terre” idéalisé. C’est un projet de vie mûrement réfléchi, un parcours du combattant semé d’embûches, rendu possible par une structure encore méconnue mais essentielle : la Ciap du Morbihan (Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne).
Le grand saut : la quête de sens
Comme beaucoup de jeunes de leur génération, Marie et Gabrielle ont ressenti ce que l’on appelle pudiquement une “perte de sens”. “Je passais mes journées à optimiser des clics pour vendre des choses dont personne n’avait vraiment besoin”, confie Marie. “La crise sanitaire a été un accélérateur. On s’est regardées et on s’est dit : ‘Est-ce que c’est ça, notre vie ?’”.
Le désir de concret, de tangible, s’impose. L’envie de participer à une transition écologique qu’elles appellent de leurs vœux. “On voulait faire un métier qui ait un impact direct, visible. Produire de la nourriture saine pour les gens autour de nous, c’est devenu une évidence”, ajoute Gabrielle.
Mais l’évidence se heurte à un mur de réalité. Elles sont ce que le milieu appelle des “NIMA” : Non Issues du Milieu Agricole. Elles n’ont ni terres, ni capital, ni formation agricole initiale, ni réseau. Dans un pays où le foncier agricole est un trésor gardé et où l’investissement de départ pour une ferme moyenne dépasse souvent le million d’euros, leur rêve semble inaccessible.
C’est là que le mot “transmission” prend un double sens. Il y a celle, familiale, qui disparaît, et celle, nouvelle, qu’il faut inventer.
L’agriculture française face au mur démographique
Le cas de Marie et Gabrielle est emblématique d’n défi national. L’agriculture française est à un tournant. Selon les projections, près de la moitié des agriculteurs actuellement en activité partiront à la retraite dans les dix prochaines années. Le “renouvellement des générations” n’est pas un slogan, c’est une urgence absolue. Or, seul un départ sur trois est actuellement remplacé.
Les obstacles sont immenses. Le prix des terres s’envole, les fermes à reprendre sont souvent surdimensionnées, calibrées pour une agriculture conventionnelle et intensive que les nouveaux venus, souvent portés par l’agro-écologie, rejettent.
“Nous ne voulions pas reprendre une usine à lait de 200 vaches”, explique Marie. “Notre projet, c’était de la polyculture-élevage : un petit troupeau de vaches laitières pour faire du fromage, des poules pondeuses, et surtout, une grande partie en maraîchage biologique, le tout vendu en circuit court.” Un projet “à taille humaine”, mais qui demande des compétences multiples.
Comment passer de Photoshop à la gestion d’un troupeau ? De PowerPoint à la planification de cultures maraîchères ? C’est là que la Ciap 56 entre en jeu.
La Ciap 56 : la “fabrique” de paysans
La Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne du Morbihan n’est pas une école comme les autres. C’est un incubateur, un facilitateur, un “pont” entre le monde d’avant et le monde d’après. Sa mission : accompagner ceux qui, comme Marie et Gabrielle, veulent s’installer, mais partent de zéro.
“La Ciap a été notre bouée de sauvetage, puis notre boussole”, sourit Gabrielle. Leur parcours au sein de la structure est un cas d’école.
D’abord, elles ont suivi la formation “Paysan Créatif”. Un an de stage pratique, intensif, pour acquérir les bases techniques, économiques et juridiques. “On a appris à souder, à conduire un tracteur, à comprendre la biologie du sol, mais aussi à faire un business plan qui tienne la route”, raconte Marie.
Ensuite, et c’est le cœur du réacteur Ciap, elles sont entrées en “espace-test”. La coopérative, via ses partenaires, leur a mis à disposition un hectare de terre et un peu de matériel pendant un an. “On a pu tester notre projet de maraîchage en conditions réelles, mais dans un cadre sécurisé, tout en gardant nos droits au chômage”, explique Gabrielle. “On a fait nos premières erreurs sans risquer de tout perdre. On a vendu nos premiers paniers. On a prouvé que notre modèle était viable.”
Cette étape a été cruciale. Elle a validé leurs compétences et, surtout, elle leur a donné la légitimité qui leur manquait.
Limerzel : la rencontre de deux mondes
Une fois leur projet “testé” et affiné, la Ciap a activé son réseau pour la phase la plus critique : la transmission. C’est ainsi qu’elles ont rencontré Michel.
Michel, 64 ans, est le propriétaire de la ferme de Limerzel. Des vaches laitières en conventionnel, 50 hectares. Ses enfants ont choisi d’autres voies. L’idée de voir sa ferme, celle de son père avant lui, démantelée ou absorbée par un voisin pour s’agrandir, lui était insupportable.
“Quand j’ai vu arriver ces deux jeunes femmes de la ville, je ne vais pas vous mentir, j’étais sceptique”, avoue Michel aujourd’hui, un sourire en coin. “Elles me parlaient de ‘bio’, de ‘vente directe’, de ‘bien-être animal’. Ce n’est pas comme ça que j’ai travaillé.”
La Ciap a joué les médiateurs. Elle a organisé les rencontres. Elle a aidé à mettre des chiffres sur les visions. Marie et Gabrielle ne voulaient pas tout raser. Elles voulaient s’appuyer sur l’existant. Le projet : garder un troupeau réduit de laitières, mais les passer en bio et transformer le lait en fromages et yaourts à la ferme. Utiliser une partie des terres pour le maraîchage.
“Elles m’ont posé des questions que personne ne m’avait jamais posées”, dit Michel, ému. “Pas seulement ‘combien ça vaut ?’, mais ‘comment fonctionne ce sol ?’, ‘quelle est l’histoire de cette prairie ?’.”
Un “tuilage” (une période de transition) s’est mis en place. Pendant six mois, Michel reste sur la ferme pour transmettre son savoir-faire, pendant que Marie et Gabrielle commencent la conversion. C’est une transmission de gestes, de regards, de mémoire.
Un nouveau chapitre pour Limerzel
Aujourd’hui, la ferme est en pleine ébullition. Marie gère la partie administrative et le développement du maraîchage, tandis que Gabrielle, qui s’est découvert une passion pour l’élevage, s’occupe du troupeau et des plans de la future fromagerie.
La Ciap du Morbihan continue de les épauler via le “portage temporaire”. Elle sécurise leur démarrage, les aide sur la comptabilité et les méandres administratifs, leur offrant un statut le temps que l’exploitation devienne pleinement rentable.
Pour Limerzel, l’arrivée de ces deux néo-paysannes est une bouffée d’air frais. C’est la promesse d’un nouveau point de vente en direct, d’une alimentation locale et saine, de deux jeunes familles qui vont vivre au village. C’est la preuve vivante que la vitalité rurale n’est pas morte.
L’histoire de Marie et de Gabrielle n’est pas qu’une anecdote. Elle est un modèle. Elle prouve que le renouvellement des générations en agriculture est possible, à condition de sortir du cadre familial strict. Elle montre que l’on peut être une femme, “hors-cadre”, et devenir agricultrice en 2025.
Le chemin sera long. Elles le savent. Les hivers seront rudes, les récoltes incertaines, et les revenus, au début, bien loin de leurs salaires de citadines. Mais le sens, lui, est là. Dans chaque légume récolté, dans chaque fromage moulé, et dans le regard de Michel, qui sait que sa ferme, à Limerzel, est entre de bonnes mains.
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