L’arrivée de Kylian Mbappé au Real Madrid fut l’aboutissement d’un long désir, une union qui promettait de cimenter l’hégémonie madrilène pour les années à venir. Le club merengue a obtenu son numéro 10, ainsi que l’avalanche de buts qui l’accompagne, avec dix-huit réalisations inscrites par le Français depuis le début de la saison. Pourtant, alors que les projecteurs se braquent sur son efficacité statistique, une ombre grandissante s’étend sur la capitale espagnole : celle de la “Mbappé-dépendance”. L’analyse des deux dernières rencontres, face à Liverpool en Ligue des Champions (défaite un à zéro) et contre le Rayo Vallecano en Liga (un triste match nul et vierge), a révélé une vérité inconfortable : lorsque l’arme offensive numéro un s’enraye, c’est toute la machine madrilène qui patine, voire s’arrête.

La séquence de ces deux matchs sans marquer le moindre but est d’autant plus alarmante qu’elle est une première cette saison. Elle met en lumière un déséquilibre structurel que Marca a résumé de manière lapidaire : « Le schéma se répète : une possession stérile, des attaques prévisibles, peu de mouvement et une trop grande dépendance à Vinícius pour casser les lignes. » Ce diagnostic tactique est sévère, pointant du doigt un manque de fluidité collective qui entrave la puissance théorique de l’effectif. L’échec de Mbappé à trouver le chemin des filets pendant deux rencontres consécutives a non seulement interrompu sa série impressionnante (treize buts lors des douze derniers matchs), mais a surtout exposé la fragilité du plan B de l’entraîneur Xabi Alonso.

Kylian Mbappé avec le Real Madrid

L’ampleur du problème est vertigineuse si l’on se penche sur les statistiques. Kylian Mbappé est, en effet, l’auteur de 52,94 % des buts du Real Madrid cette saison. Ce pourcentage, extraordinairement élevé pour une équipe de ce calibre, est le miroir d’une double réalité : il témoigne de la qualité clinique et de la forme éblouissante de Mbappé, mais il signale avant tout une anomalie dans la répartition du danger offensif. En le comparant aux légendes du club, le constat est édifiant. Lors de sa meilleure saison en termes de buts, Cristiano Ronaldo n’a jamais dépassé 38,61 % du total des réalisations du Real Madrid. De même, la contribution la plus statistique de Lionel Messi au FC Barcelone n’atteignait que 29,46 %. Mbappé est donc, de loin, le joueur le plus sollicité, voire le seul véritable finisseur du dispositif madrilène actuel.

Cette dépendance excessive n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence de plusieurs facteurs conjugués qui affaiblissent la connexion offensive. L’absence prolongée de Jude Bellingham, touché par une blessure, est un élément non négligeable. L’Anglais, qui avait prouvé lors de sa première saison sa capacité à surgir de la deuxième ligne pour marquer et créer des liens, manque cruellement à l’animation. Vinícius Júnior, souvent le moteur créatif par excellence, semble lui aussi moins tranchant dans la finition. Cependant, au-delà des absences individuelles, c’est bien le manque de liant collectif et la panne d’inspiration dans le dernier tiers du terrain qui inquiètent les observateurs.

Xabi Alonso se retrouve désormais face à un défi managérial et tactique majeur. La priorité absolue, selon la presse madrilène, est de « retrouver de la fraîcheur dans le dernier tiers du terrain, de reconnecter ses attaquants et, surtout, de redonner confiance à l’équipe ». La confiance, qui semblait inébranlable il y a seulement deux semaines, s’est érodée face à des défenses regroupées et disciplinées, comme celle du Rayo Vallecano. Le Real Madrid, habitué à dominer et à contrôler le rythme, a été entraîné dans une « zone de boue » (une allusion à un jeu lent et stagnant), où la vitesse du ballon a diminué et où les passes dans l’axe manquaient de la vivacité et de la précision nécessaires. Les centres, devenus une solution par défaut, sont apparus comme une tactique obligée et stérile.

Xabi Alonso: “Every game is the most important one” | Managing Madrid

Heureusement pour le Real Madrid, l’agenda immédiat semble offrir une opportunité de rédemption. L’équipe est engagée dans une série surprenante de six matchs consécutifs à l’extérieur, dont il lui reste encore quatre à disputer. L’adversité qui se présente – notamment Elche, l’Olympiakos en Ligue des Champions, puis Gérone et l’Athletic Bilbao – pourrait être l’occasion idéale pour Kylian Mbappé de renouer avec le chemin des filets. Mais plus important encore, cette série de rencontres permettra aux autres attaquants et milieux de terrain de trouver eux-mêmes le chemin du but, allégeant ainsi le fardeau qui pèse sur les épaules du numéro 10 français.

En conclusion, si la présence de Kylian Mbappé est un luxe que peu de clubs peuvent se payer, elle ne doit pas devenir une béquille. Le problème de la Mbappé-dépendance est un signal d’alarme retentissant : le Real Madrid doit impérativement réintroduire la notion de danger collectif et d’imprévisibilité tactique. Dans la course au titre en Liga et en Ligue des Champions, la capacité d’une équipe à gagner sans son meilleur joueur, ou du moins à marquer sans sa contribution directe, est la marque des vrais champions. Xabi Alonso doit rapidement transformer cette période d’incertitude en une leçon tactique, assurant que l’exceptionnel talent de Mbappé enrichisse le collectif, plutôt que de masquer ses faiblesses.