Le doublé venait d’être scellé, le Real Madrid écrasait Valence 4-0 lors d’une soirée de grâce pour Kylian Mbappé, et puis, un penalty fut sifflé, un instant suspendu où tous les regards, toutes les caméras, convergèrent vers le numéro 10 : c’était l’occasion rêvée d’achever un triplé, de consolider sa position de leader dans la course au Pichichi et d’envoyer un défi direct à Haaland et Harry Kane pour le Soulier d’Or européen, un geste que l’instinct d’une superstar, d’une machine à marquer, aurait naturellement dicté, mais l’Mbappé d’aujourd’hui, l’homme qu’il est devenu, a choisi d’agir à l’encontre de cet instinct, s’emparant du ballon pour s’approcher de Vinícius Júnior et le lui tendre, un acte ténu, mais dont la portée symbolique est immense, car il réduit à néant les mois de spéculation médiatique espagnole qui avait tissé la trame d’une guerre de pouvoir larvée, murmurant que deux lions ne pouvaient cohabiter dans la même jungle, que les deux fortes têtes de l’aile gauche étaient en conflit, et que le Real Madrid songeait même à vendre la star brésilienne alors qu’il réclamait un salaire égal à celui du nouveau venu français. D’un simple geste de déférence, Mbappé a éteint l’incendie, faisant une déclaration publique fracassante : il n’y a pas de guerre ici, juste une collaboration souveraine ; et même si Vinícius, s’élançant, vit son tir repoussé, un moment de déroute psychologique immédiat, la première personne à courir vers lui pour le consoler et l’étreindre fut bien Kylian Mbappé lui-même, révélant qu’il ne s’agit plus de l’enfant prodige de Paris qui se disputait un penalty avec Neymar, mais d’un roi, d’un leader, d’un homme qui a réellement atteint la pleine maturité, le jeune homme qui avait conquis le monde par sa vitesse conquiert désormais le Bernabéu par sa pondération. Pour saisir l’ampleur de cette croissance, il suffit de se remémorer le Clásico de la semaine précédente, où l’attention médiatique n’était pas tournée vers Mbappé, mais vers Lamine Yamal, le phénomène de 18 ans du FC Barcelone, omniprésent sur les réseaux sociaux et dans les émissions de divertissement, multipliant les publications pleines de défi et ravivant l’arrogance catalane ; pourtant, une fois sur la pelouse du Bernabéu, le jeune homme disparut complètement, loin de l’image d’un talent créatif et confiant, succombant à l’énorme pression qu’il avait lui-même contribué à créer. Alors que Yamal cherchait à crier au monde qui il était, Mbappé choisit le silence, pas un tweet, pas un post, pas une provocation, laissant le seul langage du but parler pour lui, un coup de tonnerre qui fit exploser le Bernabéu, démontrant que l’attaquant français n’a pas besoin de s’autoproclamer roi, car il joue comme un roi, adoptant un style de jeu fait de calme, de froideur et d’une puissance redoutable qui n’a besoin d’aucune fanfaronnade, mais dont chaque toucher de balle captive les regards.

Le numéro 10 n’affiche ni colère ni clameur, mais chacune de ses courses terrifie la défense adverse, et alors que le match se terminait par une nouvelle victoire du Real Madrid, Mbappé continuait, comme une évidence, de porter la couronne qu’il n’avait jamais réclamée ; cette maturité ne se limite pas à l’esprit d’équipe ou au silence face à la tempête, elle réside dans la réponse qu’il a donnée lorsqu’on l’a interrogé sur l’homme qu’il est : « J’espère que j’ai changé », a-t-il déclaré, « c’est un processus de développement naturel, ce serait un problème si j’étais le même qu’il y a sept ans ; avec tout ce que j’ai accompli, j’ai commis des erreurs et j’ai beaucoup appris. » Il a véritablement appris à grandir, car si sa première saison à Madrid, bien que ponctuée de 44 buts en 59 matchs, laissait le sentiment que les chiffres ne disaient pas tout, qu’il était une star mais pas encore le centre de l’univers, tout est désormais différent sous la direction de Xabi Alonso pour sa deuxième année : Mbappé est sans conteste le meneur de jeu, plus que Bellingham ou Vinícius, le joueur de champ avec le plus de minutes (1135 minutes), titulaire lors de 14 matchs pendant que ses satellites sont soumis à un roulement. L’été dernier, la direction madrilène a d’ailleurs posé un acte symbolique fort en lui décernant le numéro 10 laissé vacant par le grand Luka Modrić, lui confiant non seulement un chiffre, mais le rôle de maestro ; Xabi Alonso lui-même le qualifie de leader en raison de sa personnalité, de son expérience et de son influence sur les autres, un progrès salué par l’ensemble du staff technique, le champion du monde 2018 étant désormais le tireur de penalty et l’un des tireurs de coups francs désignés. Quand on lui demande s’il est un numéro 9 ou un numéro 10, il balaie la question : « La position n’a pas d’importance. Je suis un attaquant qui peut marquer de partout. Mon seul objectif est de gagner. » Et il poursuit cet objectif avec une cruauté statistique sans précédent : son doublé contre Valence marque son 235ème but dans les ligues majeures européennes, un total qui dépasse officiellement la légende Thierry Henry (233 buts) ; plus tôt cette année, il avait également dépassé Henry en nombre de buts en Ligue des champions, et en septembre, il l’avait surpassé pour devenir le deuxième meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France, derrière Giroud, et voilà que le numéro 10 madrilène fait tomber le record le plus important en club. Mais ce qui fait frémir, c’est l’efficacité : Henry a eu besoin de 459 matchs pour ses 233 buts, Mbappé, lui, n’en a eu besoin que de 291 pour atteindre les 235, il ne fait pas que battre des records, il les écrase. La destruction ne s’arrête pas là : ce doublé lui permet de devenir le joueur le plus rapide à atteindre 44 buts en Liga dans l’histoire du Real Madrid, en seulement 45 matchs, dépassant officiellement les débuts de Cristiano Ronaldo (43 buts en 45 matchs) et ne s’inclinant que devant le légendaire Ferenc Puskás (44 buts en 44 matchs). Interrogé sur le record de Ronaldo, l’humilité de Mbappé resurgit : « Tout le monde sait que Ronaldo est le numéro un ici. Je ne suis là que depuis un an et demi, il y est resté neuf ans. Je ne peux pas me comparer. Mon chemin est différent. Être mentionné à côté de lui est une fierté. » C’est cela la maturité : respecter le passé tout en étant déterminé à écrire son propre héritage, et cet héritage se construit sur une forme dévastatrice, puisqu’il a marqué lors de huit matchs consécutifs en Liga, trouvant le chemin des filets lors de 15 de ses 16 derniers matchs de championnat (22 buts au total), le propulsant confortablement en tête du classement du Pichichi (13 buts) et des buteurs de la Ligue des champions (5 buts, à égalité avec Harry Kane) ; ses 13 buts en championnat égalent d’ailleurs le total d’Erling Haaland en Premier League. L’analyse des données montre que son indice de buts attendus par tir (xG/Tir) a augmenté à 0,183 cette saison, contre 0,164 la saison dernière et supérieur à ses trois dernières saisons au PSG, ce qui signifie qu’il ne tire pas seulement plus, il tire de meilleures positions, il est plus intelligent, plus clinique. Depuis le début de la saison, Mbappé a marqué 21 buts en 17 matchs pour le Real Madrid et l’équipe de France, dont 18 en 14 matchs en club, une forme explosive qui permet au Real Madrid de trôner en tête de la Liga avec cinq points d’avance sur le FC Barcelone. Il y a un an, lorsque le Real Madrid se rendait à Anfield, Liverpool pouvait se permettre de ne voir qu’un Mbappé quelque peu éteint, qui n’avait marqué que neuf buts lors de ses 18 premiers matchs chez les Merengues, des débuts jugés décevants ; mais les rôles sont inversés, et à l’approche de la rencontre de mercredi, alors qu’Anfield retient son souffle pour le retour de Trent Alexander-Arnold et que les médias britanniques se concentrent sur la résistance de la défense d’Arne Slot, ils se trompent de cible : la véritable et seule menace n’est pas un membre de la ligne arrière de Liverpool, mais Kylian Mbappé, la version actuelle de ce joueur étant un monstre qui a retrouvé la plénitude de son instinct de tueur, face à une défense de Liverpool qui se révèle étrangement fragile (seulement cinq clean sheets en 28 matchs, malgré une victoire 2-0 contre Aston Villa pour briser une série de dix matchs sans cage inviolée, mais le Real Madrid est d’une toute autre catégorie). L’entraîneur Xabi Alonso lui-même, après la victoire contre Valence, n’a pu que s’exclamer : « Il a le don de trouver le chemin des filets et il est toujours au bon endroit. Mbappé a marqué tant de buts, je ne sais pas combien, mais je sens qu’il en marquera beaucoup cette saison. » Anfield est célèbre pour ses nuits de Ligue des champions magiques, avec une ambiance qui peut étouffer n’importe quel adversaire, mais le champion d’EPL devra cette fois faire face non seulement à un attaquant rapide, mais à un roi qui a vraiment mûri, confortablement installé au sommet de sa puissance au Bernabéu, et ce roi de Madrid tourne maintenant son regard vers Liverpool.