Fin de l’Accord Franco-Algérien : Le Duel Tendu Entre Marine Le Pen et le Premier Ministre Révèle la Fracture de la France

Article: Fin de l’Accord Franco-Algérien : Le Duel Tendu Entre Marine Le Pen et le Premier Ministre Révèle la Fracture de la France

L’Assemblée nationale a été le théâtre d’un affrontement politique d’une rare intensité et d’une portée historique majeure. Au cœur du débat, l’accord de 1968 régissant les mouvements migratoires et le séjour des ressortissants algériens en France. D’un côté, Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement National, a brandi le vote récent de l’Assemblée en faveur de l’abrogation de ce texte, y voyant le symbole d’une « France qui affirme enfin la sienne. » De l’autre, le Premier ministre s’est opposé frontalement à cette voie, réaffirmant la prééminence de l’Exécutif sur les traités et plaidant pour une « renégociation » pragmatique et globale. Ce duel en dit long sur la fracture idéologique qui traverse la France, opposant une vision de souveraineté nationale radicale à une approche diplomatique complexe, héritière d’une histoire commune et tourmentée.

L’Offensive Idéologique : Le Relicat Colonial qui Humilie la France

Dès les premières secondes de son intervention, Marine Le Pen a posé les bases d’une rhétorique implacable et chargée de symboles. Elle a fixé la date du 30 octobre 2025 comme le moment où la France aurait dû « affirmer enfin la sienne, » 57 ans après l’entrée en vigueur de l’accord. Pour elle, ce texte n’est pas un simple traité ; c’est un « accord anachronique, peu glorieux pour l’Algérie et léonin pour la France. » Le terme « léonin » est particulièrement puissant, décrivant une convention qui profite excessivement à une partie au détriment de l’autre, plaçant la France dans une position de faiblesse.

Son argumentaire s’articule autour de deux axes majeurs : la dignité de l’Algérie et l’intérêt des travailleurs français. Elle a d’abord souligné que les « patriotes algériens devraient se réjouir » de l’abrogation, car l’accord place l’Algérie dans une « situation humiliante de bénéficier d’une sorte de régime de discrimination positive de la part de l’ancienne puissance coloniale. » En inversant la perspective, elle transforme l’abrogation en un acte de respect pour la souveraineté algérienne, tout en dénonçant, par contrecoup, une forme de paternalisme post-colonial qu’elle juge indigne des deux nations.

Le deuxième point est plus économique et social, visant directement les racines historiques de l’accord. Marine Le Pen a dénoncé un texte « dicté en son temps par un certain patronat sans scrupule qui cherchait à disposer d’une main d’œuvre venue d’ailleurs pour travailler à bas prix dans des conditions […] peu reluisantes. » Ce faisant, elle lie la question migratoire à l’exploitation capitaliste, s’adressant directement à la morale sociale. Pour elle, le vote d’abrogation est un « tout un symbole, celui d’un changement d’époque » et un « retour à une morale sociale élémentaire » pour les travailleurs algériens comme français. L’enjeu est clair : purger la France des « relicats d’une situation coloniale » qui continue, selon elle, de nuire aux intérêts nationaux.

La Mise en Cause de la Sincérité du Premier Ministre

L’offensive de Marine Le Pen n’était pas seulement historique et sociale ; elle était aussi éminemment politique. Elle a transformé sa question en un véritable test de sincérité pour le Premier ministre. Après avoir conditionné la « légitimité de [son] ministère sur la reconnaissance explicite d’un régime parlementarisé, » elle a exigé de savoir : « Comment et sous quel délais comptez-vous mettre en application le vote de l’Assemblée nationale qui décide pour la France d’abroger l’accord de 1968 avec l’Algérie ? » Cette question a pris des allures de piège, mesurant l’écart entre les déclarations du gouvernement sur le respect du Parlement et la réalité de l’action politique face à un enjeu aussi sensible.

Le Recadrage de l’Exécutif : L’Algérie n’est pas un Sujet de Politique Intérieure

La réponse du Premier ministre a débuté par un recadrage méthodologique et institutionnel, cherchant immédiatement à abaisser la température du débat. Il a rappelé sa règle fondamentale, héritée de ses fonctions précédentes : « ne jamais faire de la question de l’Algérie un sujet de politique intérieure en France. » Cette position vise à soustraire le dossier à l’arène électoraliste, reconnaissant l’hypersensibilité du sujet de l’autre côté de la Méditerranée et le risque de réciprocité.

Surtout, il a fait appel à la Constitution de 1958. Le Premier ministre a rappelé un principe essentiel du droit institutionnel français : « la question des traités et des accords revient à l’exécutif, » l’Assemblée nationale n’ayant qu’un rôle de ratification. Le vote en question n’est donc qu’une « résolution et seulement une résolution. » Si le gouvernement « prend acte » de la volonté parlementaire, il refuse de lui accorder une valeur contraignante d’abrogation. Cette distinction technique a permis au Premier ministre de déjouer le piège institutionnel tendu par Marine Le Pen, tout en reconnaissant symboliquement le poids politique du vote.

La Stratégie de la Renégociation Globale : Protéger les Intérêts Français

Sur le fond, le Premier ministre a livré la position stratégique de l’Exécutif : « je ne crois pas à l’abrogation de cet accord, mais à sa renégociation. » L’abrogation unilatérale est perçue comme un acte de rupture susceptible de dégrader une relation bilatérale déjà fragile, tandis que la renégociation permet de maintenir le dialogue et d’ajuster le texte aux réalités actuelles. Il a d’ailleurs rappelé que l’accord a déjà été renégocié à trois reprises, preuve que le texte est « caduc » et « n’est plus complètement à jour, » reconnaissant implicitement la nécessité d’une réforme.

La feuille de route proposée est diplomatique et exhaustive. Elle consiste à « repartir du comité de haut niveau » qui s’était tenu en octobre 2022 et qui avait déjà acté la nécessité de renégocier. L’approche du gouvernement est résolument globale, allant au-delà de la seule question migratoire. Le Premier ministre a insisté sur les intérêts bilatéraux élargis :

Sécurité et Défense : La lutte contre le terrorisme, la coopération sécuritaire, et surtout la question de la « pression terroriste qui monte au Sahel. »
Économie : Les questions économiques, un domaine où une approche bilatérale est jugée essentielle.
Sécurité Maritime : Un point de coopération crucial.

Cette approche, qui lie l’enjeu migratoire à la sécurité régionale et aux intérêts économiques, vise à donner à la France un levier plus puissant et moins émotionnel dans la discussion avec Alger. La discussion doit être « exigeante » et doit « protège[r] nos intérêts, » tout en respectant la souveraineté de l’Algérie.

Conclusion : Un Désaccord de Fond et de Méthode

Le duel s’est achevé sur une note de persistance de Marine Le Pen, qui a répliqué que la renégociation n’est que l’« avis personnel » du Premier ministre et non la volonté exprimée par l’Assemblée nationale. Cet échange cristallise un désaccord fondamental non seulement sur le contenu de l’accord de 1968, mais sur la manière dont la France doit gérer son héritage historique et ses intérêts contemporains.

Le Premier ministre a choisi la voie de la continuité diplomatique, du « sang-froid » et de la renégociation méthodique, considérant la géographie et l’histoire comme des réalités incontournables. Marine Le Pen, quant à elle, a choisi la rupture symbolique, utilisant l’abrogation comme un levier pour affirmer la souveraineté nationale et dénoncer le statu quo. Ce débat, loin d’être clos, continuera de modeler les relations franco-algériennes et, par extension, la politique intérieure française, confirmant la place de l’histoire coloniale au cœur des enjeux contemporains de la République.