Nagui brise le silence : pourquoi l’animateur le plus puissant de France a décidé de bannir Michel Sardou, l’idole rebelle, du temple musical de “Taratata” pour toujours.

Nagui  / Michel Sardou

Il y a des phrases qui claquent comme un coup de cymbales en direct. « Il est venu une fois dans Taratata et je peux vous l’annoncer, ça ne sera plus possible. » D’un ton posé mais sans appel, Nagui, figure tutélaire du service public, a lâché la bombe sur le plateau de C à vous, face à Anne-Élisabeth Lemoine. En quelques secondes, l’animateur le plus influent du paysage audiovisuel français a scellé le sort de Michel Sardou dans le temple musical de France 2. Le chanteur de 77 ans, idole rebelle et monument de la chanson hexagonale, n’y remettra plus les pieds. Définitif. Irrévocable. Et assumé.

Cette sortie n’est pas un simple caprice d’ego. Elle intervient alors que Taratata s’apprête à célébrer en fanfare les 40 ans de Bercy, avec un concert anniversaire à l’Accor Arena, diffusé en prime time le 25 octobre. Un rendez-vous qui incarne tout ce que le programme a construit depuis des décennies : des performances live millimétrées, une ferveur de plateau unique, et cette confiance inouïe qui lie techniciens, chaîne et artistes. « Je suis comme un môme dans un parc d’attractions, j’ai une chance incroyable d’être là », confie Nagui, presque ému, avant d’ajouter qu’il n’a « jamais lâché le morceau ». C’est précisément cette exigence — mêlée d’ambition et de fidélité — qui éclaire aujourd’hui son “non” catégorique à Sardou.

Car au cœur de cette affaire, il y a une vérité brutale qui dépasse les paillettes : l’alchimie. Taratata fonctionne à l’électricité du direct, à la générosité des invités, à cette fraternité musicale qui transforme les duos improbables en moments de télévision gravés dans la mémoire collective. Or, selon Nagui, cette étincelle-là n’a jamais jailli avec Michel Sardou. « On ne s’est pas vraiment bien entendu », lâche-t-il, sans rancœur apparente, mais avec la fermeté de celui qui protège un sanctuaire. Il ne conteste ni la carrière, ni le talent, ni la place unique de Sardou dans le panthéon de la chanson. Simplement, il refuse de dire « bienvenue » sans le penser. Et, ajoute-t-il, « je ne pense pas qu’il ait envie non plus, donc ce n’est pas grave ». Rideau.

Pour les fans, le choc est rude. Comment imaginer la grande fête de Bercy sans l’auteur d’« Être une femme », d’« En chantant » ou des « Lacs du Connemara » ? Pourtant, cette décision raconte autant Taratata que Sardou. L’émission de France 2 n’est pas un simple plateau de promo : c’est un écrin qui se mérite, où chaque artiste vient pour partager, risquer, s’ouvrir. Ceux qui acceptent ce pacte — de Prince à Coldplay, de Mylène Farmer à Stromae — repartent souvent grandis, réenchantés, reconnectés à un public plus large que leur propre fanbase. Ceux qui s’y sentent à l’étroit, en revanche, ne trouvent pas leur place. Et Taratata ne transige pas.

En annonçant cette exclusion à vie, Nagui assume la part la plus impopulaire mais aussi la plus cohérente de son rôle : gardien de ligne éditoriale. Il sait ce qu’il veut montrer, il sait reconnaître ce qui vibre et ce qui grince. À l’heure où la télévision se fragmente, où chaque affiche tente de racler un point d’audience, l’animateur rappelle, à contre-courant, qu’un “non” parfois protège mieux un programme qu’un “oui” de compromis. Et c’est sans doute pour cela que l’émission tient, traverse les modes, survit aux cycles du buzz : parce qu’on y ressent une idée claire de la musique vivante.

Photo : Michel Drucker, Nagui et Michel Sardou. - Purepeople

Faut-il y voir une vendetta personnelle ? Le mot serait excessif. Les phrases de Nagui, mesurées, refusent l’invective. Il n’y a ni sarcasme ni règlement de comptes ; seulement un constat professionnel. Il n’est pas question d’effacer Michel Sardou de l’histoire de la chanson — impossible — mais de reconnaître que toutes les rencontres artistiques ne s’additionnent pas. Certaines s’annulent, d’autres s’ignorent. Et puis, la sincérité commande : si l’accueil n’est pas sincère, s’il n’y a ni désir ni envie partagée, que reste-t-il à offrir au téléspectateur ? Une politesse froide, un numéro contraint, un live sans âme. L’exact contraire de la promesse Taratata.

Cette ligne de crête, Nagui la revendique d’autant plus que l’émission s’apprête à écrire une page symbolique à l’Accor Arena. Quarante ans de Bercy, c’est quarante ans d’icônes, de sueur, d’ovations, de retours triomphants et de bides mémorables — le roman de la scène française, en somme. Pour ce chapitre anniversaire, l’animateur veut des artistes qui parlent vrai, des performances qui prennent des risques, des rencontres qui font des étincelles. Un plateau où l’ego s’efface devant le jeu collectif, où la virtuosité se mesure à l’émotion partagée. On comprend mieux, alors, pourquoi une cohérence relationnelle devient un critère artistique à part entière.

Évidemment, la décision soulève un débat plus large : peut-on se priver d’une telle légende ? N’y a-t-il pas un devoir de dépassement, de réconciliation, de grand pardon audiovisuel ? La télévision adore ces “moments d’unité nationale” où l’on fait semblant d’oublier les aspérités. Mais Taratata n’est pas l’Olympia des discours consensuels. C’est un atelier de l’instant, où la magie oppose une résistance farouche aux artifices. Paradoxalement, c’est en disant non à une institution — Michel Sardou — que l’émission dit oui à sa propre mythologie : celle d’un show qui ne se contente pas de cocher des cases, mais cherche le frisson.

Reste Michel Sardou lui-même. L’intéressé a bâti sa carrière sur la franchise, l’aplomb, une façon d’embrasser le tumulte de l’époque à rebrousse-poil. On l’a vu tour à tour populaire, polémique, tendre, provocateur. Rien ne laisse penser qu’il réclamerait un retour sur un plateau où il ne se sent pas désiré. La rupture, telle que la décrit Nagui, semble d’ailleurs réciproque : « Je ne pense pas qu’il ait envie non plus. » La vérité nue, peut-être la plus élégante des sorties.

Pour les téléspectateurs, l’essentiel est ailleurs : le 25 octobre, devant France 2, ils n’attendent pas une liste de noms, mais des moments. Des arrangements inattendus, des duos improbables, des regards complices, cette fièvre qui fait dire « j’y étais » même quand on n’y était pas. À cette aune, la cohérence de Nagui n’est pas une exclusion, c’est une promesse. Promesse d’un spectacle sans faux-semblants, d’un direct sans diplomatie creuse, d’une télévision qui ose préférer l’authenticité au casting XXL.

Alors oui, la phrase restera — tranchante, définitive — et fera grincer. Mais elle raconte une chose rare à l’antenne : une vision. Taratata n’est pas un carrousel où l’on comptera les trophées, c’est un laboratoire d’émotions stylées au cordeau. Et dans un laboratoire, tout ne se mélange pas. Certaines molécules s’attirent, d’autres explosent. Quand elles n’ont pas envie de réagir ensemble, on n’insiste pas : on protège l’expérience, on change d’éprouvette, on cherche ailleurs l’étincelle.

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Au fond, la vraie “rupture” du soir n’est pas celle entre Nagui et Sardou. C’est la rupture — salutaire — avec l’idée que tout se vaut, que l’affiche fait la fête, que l’icône suffit. Le public, lui, sait reconnaître le vrai. Et s’il continue, saison après saison, à répondre présent pour Taratata, c’est parce que l’émission lui parle d’abord en musique, pas en posture. La sentence tombe comme un accord parfait : mieux vaut une absence assumée qu’une présence contrainte. Et pour les 40 ans de Bercy, c’est peut-être la plus fidèle des déclarations d’amour à la scène.