« Claude François n’a jamais fait n’importe quoi, contrairement à Johnny » : la défense essentielle d’un philosophe.
ENTRETIEN – Le philosophe Philippe Chevallier explique « L’Art de Claude François » (PUF) et réhabilite la variété française comme artisanat essentiel.
Il y a des livres plus nécessaires que d’autres. Surtout quand il balaie une double méprise. La première était lancée par Serge Gainsbourg le 26 décembre 1986 chez Bernard Pivot. Le génial compositeur s’en prenait à Guy Béart et expliquait que la chanson était un art mineur. La deuxième est le jugement que les contemporains puis les critiques actuels ont porté sur l’œuvre de Claude François : ringarde, peu originale et terriblement franchouillarde. Le philosophe Philippe Chevallier publie une réédition de son « Art de Claude François » (PUF) et remet les pendules « de l’entrée » à l’heure. « Cloclo » est un chanteur majeur de la variété. Ses reprises sont meilleures que les originales car il en gomme tous les défauts et, surtout, accélère le rythme sans cesse. Ses créations originales révèlent un artiste torturé par son enfance et la panique de l’abandon. L’ouvrage de Chevallier est à lire, relire, analyser, diffuser pour (enfin) expliquer à quel point la chanson est un art majeur et la chanson populaire un art unificateur. Et faire de Claude François, « un chanteur heureux que l’on écoute toujours plus ».
Paris Match : Dans votre introduction, vous revenez sur l’incrédulité voire le mépris que vous avez reçu lorsque vous vous êtes lancé dans le cas Claude François. C’est quoi le problème avec Cloclo ?
La suite après cette publicité
Philippe Chevallier : On est fascinés en France par les chanteurs qui écrivent leurs textes, voire leur musique (Brassens, Ferré, etc.). Ils sont considérés comme les véritables « auteurs », à l’image des poètes, des romanciers. Claude François appartient à un autre univers, celui des « jongleurs », des artistes de scène, qui cherchent d’abord à faire de la bonne musique, pour toucher un public, le divertir, lui donner du plaisir. C’est une conception très simple de l’art populaire ; mais elle est exigeante, car elle accepte d’être jugée en retour par une instance qui ne pardonne pas : le public. Claude François vient du jazz et de la scène – il a commencé comme batteur au Sporting Club de Monte-Carlo –, et les chanteurs qu’il admirait, c’était Nat King Cole, Frank Sinatra, Bobby Darin. Pas exactement des artistes introvertis qui chantent leurs tourments existentiels…
On a accusé Claude François de faire beaucoup de reprises. Quelle était sa plus-value ?
J’aime le terme « accusé ». Il a fait beaucoup de reprises, effectivement, comme un jazzman… La reprise était habituelle chez les yéyés des années 60. Cloclo est fils de son temps, même s’il a continué à beaucoup reprendre dans les années 70 (comme Johnny ou Eddy). Cependant, il avait une marque de fabrique : à côté de tubes qui avaient marché (« Eloise », « I Go to Rio »…), il savait repérer des chansons plus confidentielles, un peu mal fichues, dont il détectait le potentiel. Il était un musicien professionnel, et il avait de l’oreille. Il entendait les fautes d’écriture, les joliesses inutiles. Ses adaptations ne sont pas des copies mais des corrections, qui vont toujours vers la concision, la précision. « Tout ça c’était hier », « Soudain il est trop tard », « Belinda », « Il ne t’aime pas », sont bien meilleures que les originaux. Il était aussi à l’affût des rythmes nouveaux – et c’est lui, bien avant Gainsbourg, qui introduisit le reggae en France, dès 1970, contrairement à ce qui s’écrit.
Comment jugez-vous ses chansons originales ?
C’était un bon compositeur, il l’a montré avec l’extraordinaire « Le Magicien », en 1968. Mais il était trop exigeant avec lui-même pour persévérer dans cette voie… À chacun son métier : écrire des paroles est un métier, écrire des chansons est un métier. Il préférait s’entourer de professionnels en qui il avait confiance (Gilles Thibaut, Pierre Delanoë, Jean-Pierre Bourtayre…), quitte à leur faire revoir dix fois leur copie. Les textes étaient corrigés à la syllabe près. On peut dire que Claude François faisait de la bonne musique car il était très bien entouré. C’est vrai. Mais tous ces gens – les musiciens, les compositeurs, les arrangeurs –, si vous ne leur donnez pas une direction, si vous n’avez pas une idée claire de ce qu’ils doivent produire, ils n’iront nulle part. C’est le problème avec certains disques de Johnny : il n’y a pas de patron.
En quoi « Joue quelque chose de simple » est l’archétype de la chanson originale signée Claude François ?

Merci de la mentionner, car c’est une chanson superbe. Elle n’a pas marché à l’époque, donc je ne sais pas si elle est vraiment un archétype. Mais votre remarque est juste : les chansons de Claude François ont un faux air de légèreté alors qu’elles parlent de divorce, de trahison, de faux-semblants, et ici de dépression, de suicide. Honnêtement, je ne sais pas comment expliquer ce grand écart. La plus belle chanson jamais écrite sur le mensonge dans un couple est sans doute « Savoir ne rien savoir », qui me pétrifie à chaque fois que je l’entends. Quelle cruauté, quelle violence, dans un disque à l’emballage pourtant si « variété ». Je ne sais pas si ce grand écart était volontaire. Je pense plutôt que Claude François avait mis en place une chaîne de production qui devait aboutir à cette patine parfaite, où rien ne dépasse, où tout est lissé. Quand on écoute la maquette de « Joue quelque chose de simple », c’est autre chose, de plus fou. Je me suis toujours dit que Claude François aurait pu être un autre artiste, qu’il aurait pu prendre plus de risques – peut-être en avait-il secrètement l’envie ? Mais son sacerdoce était le public. C’était aussi un chef d’entreprise : il avait cent personnes à payer à la fin du mois. Il n’avait pas le droit à l’erreur.
Diriez-vous que Claude François fait de la chanson française comme un artisan ?
Ah oui, absolument ! Et j’ai beaucoup de respect pour cela. Il aimait cette notion d’artisanat, qui parle d’apprentissage, de métier. L’immense pianiste de jazz René Urtreger m’a dit un jour : « Le seul pour qui j’ai du respect dans la chanson, c’est Claude François. Il détestait les amateurs. » La musique, ça s’apprend. Claude François se méfiait du génie qui s’épanche en chantant faux. Quant à l’industrie, on revient à cette notion de « chaîne de production » : oui, la musique est une industrie. Mais cette chaîne avait un modèle pour lui : la Motown, l’usine à tubes créée à Detroit par Berry Gordy en 1959. Les musiciens pointaient matin et soir, et vous aviez le contrôle qualité à la fin. De cette usine sont sortis les Supremes, Marvin Gaye, Stevie Wonder, Smokey Robinson… et mon chanteur préféré : David Ruffin. Claude François est le seul artiste blanc à avoir enregistré dans ce studio mythique, en 1971, avec les Funk Brothers. L’assistant en renversa son café sur le pantalon de Claude.
Quand on écoute les 277 chansons de Claude François, quelle est la philosophie diffusée par le chanteur ?
Faire son travail, du mieux possible, par respect du public. 277, c’est beaucoup, et je sais que vous auriez envie d’en retirer une bonne moitié ! Pour ma part, je trouve que les 277 sont soit très bonnes, soit juste bonnes. J’exclurais peut-être « C’est le reggae », qui m’horripile, et n’est pas du reggae… Je ne vois rien d’autre à jeter. On revient à cette chaîne de production, cette exigence, cette obsession de tout contrôler. Claude François, c’est une force qui va. Il tient tout, il sait ce qu’il veut, et il l’obtient. D’où cette impression d’égalité, quasi parfaite, de « Belles, Belles, Belles » à « Magnolias for Ever ». Une seule fois, il faillit faire une grosse bêtise : il lorgnait sur les terres de Sardou, son grand rival des années 1970, avec un titre qui s’appelait « En Méditerranée ». Ça sentait le terroir, la province, la bouillabaisse, et c’était nul. Son guitariste Slim Pezin n’arrêtait pas de se moquer de la chanson, en roucoulant « Méditerranée » de Tino Rossi… Claude François comprit qu’il était en train de franchir une ligne rouge. La chanson n’est jamais sortie. C’est pour moi un signe : il n’a jamais fait n’importe quoi, contrairement à Johnny ou même Julien Clerc.
Votre livre est en fait une réhabilitation de la variété française…
Plutôt des métiers de la variété. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la concentration de talents qu’il y a derrière « Le téléphone pleure » ou « Alexandrie, Alexandra ». Ce sont des talents difficiles à acquérir et à définir. C’est pour ça que la grande variété est un objet passionnant, car elle a des exigences qui ne sont pas celles de l’Opéra de Paris (même si sa première flûte joue sur « Belinda »), ni même des Beatles et de la pop. On est dans un autre univers, où règnent le métronome et la juste note, la concentration et la rigueur absolue. Je suis tombé un jour sur le témoignage du grand trompettiste Pierre Dutour, dont l’extraordinaire solo irradie « L’Été indien ». Même pour le virtuose qu’il était, chaque séance de studio était une angoisse terrible : ne pas être rappelé le lendemain. Tous les musiciens vous le diront : la variété, c’était très dur ; seuls les plus endurants tenaient. Le rock, c’était plus facile.
Comment explique-t-on ce décalage entre la perception du public et la critique qui pense que faire une chanson populaire, c’est facile et la réalité, ce n’est pas facile ?
C’est l’élégance de cet art : cacher son labeur. Écoutez « Baby It’s You », de Burt Bacharach, interprété par les Shirelles en 1961. Les Beatles furent si impressionnés qu’ils la reprirent sur leur premier album. L’art de la grande variété, c’est cette forme quasi parfaite, où tout est si équilibré, si bien en place, qu’elle en devient presque blanche, transparente. C’est pour ça que la critique musicale est à la peine : elle n’a rien à en dire, pas de message à analyser, rien à disséquer. C’est plus facile de parler de John Lennon ou de Pierre Boulez, car leurs musiques sont pleines d’idées, donc de discours. La grande chanson, et même la « grande musique », peuvent se permettre des erreurs d’écriture ou d’exécution ; elles ont des messages, des postures qui font causer. Avec Claude François, ça ne marche pas, car sa musique a la précision du tir à l’arc. J’ai fait écouter « Chanson populaire » à un ami du Conservatoire qui m’a dit : « C’est franchement très bien. » Que voulez-vous dire après : « C’est franchement très bien » ?
Dans l’univers de la variété entre Sardou, Johnny, Lama, où se situe Cloclo ?

Au milieu, exactement ! Entre eux, les rivalités étaient évidentes, mais ils faisaient le même métier et ils se respectaient. C’est sans doute pour Johnny que Claude François avait le plus d’amitié, car ils étaient de la même génération, avaient traversé les yéyés, avaient tous les deux dû se réinventer après. La plus belle chanson de Johnny, « Le Chanteur abandonné », est un clin d’œil au « Mal-Aimé ». Ceci dit, je pense que Claude François, par ses exigences, porte la variété française à un sommet, une extrémité où elle révèle le plus parfaitement ce qu’elle est : un art de l’équilibre, une forme « moyenne », qui n’est ni de la chansonnette ni du Bach, mais un entre-deux exigeant. Quand j’avais vingt ans, j’ai eu la chance d’avoir un professeur de philosophie merveilleux, qui commentait Aristote en une phrase que je n’ai jamais oubliée : « Le juste milieu est un sommet ». C’est la plus belle définition de l’art de Claude François.
News
Sophie Marceau a été victime d’un incident vestimentaire au Festival de Cannes, dévoilant sa lingerie transparente. L’événement a suscité une vive polémique à travers le monde et des réactions mitigées au sein du public.
Sophie Marceau a été victime d’un incident vestimentaire au Festival de Cannes, dévoilant sa lingerie transparente. L’événement a suscité une…
Star Academy 2025 : Léo brise le silence sur sa relation avec Jeanne, la vérité enfin dévoilée !
Star Academy 2025 : Léo brise le silence sur sa relation avec Jeanne, la vérité enfin dévoilée ! Au cœur…
Des brutes s’en prennent à une fillette tranquille, ignorant que son chien était un K9 à la retraite.
Des brutes s’en prennent à une fillette tranquille, ignorant que son chien était un K9 à la retraite. L’air de…
Une PDG milliardaire demande à son concierge de la mettre enceinte pour qu’elle lui accorde un visa.
Une PDG milliardaire demande à son concierge de la mettre enceinte pour qu’elle lui accorde un visa. Vous ne croirez…
Clash en direct : Michel Onfray met à mal un plateau pro-Macron, sidération en studio
Clash en direct : Michel Onfray met à mal un plateau pro-Macron, sidération en studio. L’atmosphère était électrique. Les lumières…
« JE PARLE 6 LANGUES » – DÉCLARA LA JEUNE ACCUSÉE… LE JUGE RIT, MAIS RESTE SIDÉRÉ 1 MINUTE PLUS TARD
« JE PARLE 6 LANGUES » – DÉCLARA LA JEUNE ACCUSÉE… LE JUGE RIT, MAIS RESTE SIDÉRÉ 1 MINUTE PLUS TARD Claire…
End of content
No more pages to load






