Budget 2025 : Le « Monstre de Frankenstein » budgétaire, l’échec de la Taxe Zucman et le deal secret qui sauve la Macronie de la Censure

L’Assemblée Nationale, Théâtre d’un « Coup d’État Social » Bricolé

L’atmosphère de l’Assemblée nationale en cette fin d’année a basculé du débat politique traditionnel au théâtre d’ombres. Le projet de loi de finances est devenu, selon la formule acerbe utilisée dans l’hémicycle, un « monstre de Frankenstein » : une créature difforme, assemblée de morceaux disparates de cadavres de propositions. Comme le docteur de la mythologie, le gouvernement semble désormais épouvanté par sa propre création. Au fil des concessions et des marchandages avec les différentes oppositions, le budget s’est transformé en un « gloubi boulga » qui mécontente tout le monde, mais qui, surtout, révèle la paralysie d’une majorité relative.

C’est dans cette cacophonie que se joue le destin politique de la majorité. Les députés, pris entre la nécessité d’obtenir des recettes nouvelles pour éviter l’impopulaire 49.3 et la peur de voir leurs acquis politiques être balayés, ont transformé le projet de loi de finances en un immense chantier de déconstruction. L’objectif de fond de cette manœuvre n’est plus la cohérence économique, mais la survie politique, permettant à tout prix d’éviter un retour aux urnes que redoutent particulièrement les partis qui n’ont pas la confiance des électeurs.

La Chasse aux Recettes : Les Concessions Douloureuses et les Victoires Ciblées

L’ouverture de la discussion budgétaire a été marquée par une série de victoires et de compromis arrachés par la droite et la gauche, affaiblissant considérablement le projet initial du gouvernement.

La droite, notamment Les Républicains (LR) menés par Laurent Wauquiez, a d’abord crié victoire en obtenant deux concessions significatives, mais coûteuses pour les caisses de l’État : la défiscalisation des heures supplémentaires et la suppression du gel du barème de l’impôt sur le revenu. Si cette dernière mesure épargne les classes moyennes et populaires d’une augmentation d’impôt déguisée (l’inflation les faisant basculer dans une tranche supérieure), elle représente un manque à gagner de 4 milliards d’euros pour le budget.

Face à cette brèche, la gauche a exigé, et obtenu, des concessions dans la direction opposée, celle de la taxation. Le gouvernement a été contraint de rehausser la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, dont le taux relevé par le ministre de l’Économie pourrait rapporter jusqu’à 6 milliards d’euros, au lieu des 4 milliards initialement prévus. De même, la taxe visant les géants du numérique, les GAFAM, a été doublée, passant de 3 % à 6 %.

L’Ode à la Souveraineté : Face à la Taxe GAFAM

Le débat sur la taxe GAFAM a donné lieu à un discours passionné de la part du socialiste Philippe Brun, qui a mis en garde contre la « génuflexion permanente » face au géant américain. Il a dénoncé l’idée qu’il faudrait toujours « plier le genou devant le géant américain » et « supplier le Seigneur dont nous sommes les vassaux » de ne pas imposer de représailles.

Brun a rappelé que face à la menace de l’ancien président américain Donald Trump de doubler les droits de douane sur le cognac, le champagne et les produits pharmaceutiques français, la France et l’Europe ne sauraient rester soumises à la volonté d’un seul homme. Le choix est clair : continuer à s’incliner ou s’affirmer. Il a plaidé pour une riposte à la hauteur : une taxe GAFAM de 15 % sur les multinationales américaines, symbolisant l’affirmation de la souveraineté française dans le commerce international.

Dans ce contexte de chasse aux fortunes, le groupe de la France Insoumise (LFI) a obtenu un succès retentissant avec l’adoption d’un amendement visant à taxer les bénéfices des multinationales proportionnellement à leur activité réelle en France. Ce réajustement pourrait rapporter une somme colossale de 26 milliards d’euros au budget de l’État, ciblant efficacement l’évasion et l’optimisation fiscale. Un autre amendement LFI a instauré une taxe exceptionnelle sur les super-dividendes, tandis que le Rassemblement National a fait passer une taxe de 33 % sur les rachats d’actions, censée rapporter 8 milliards d’euros.

La Taxe Zucman : Le Symbole de la Justice Fiscale Contre la Réalité du Déficit

Au centre de toutes les tensions, la taxe Zucman, un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, est devenue le marqueur symbolique de la justice fiscale. Pour la gauche, cet amendement est « phare » et vise à faire participer les moins de 2 000 contribuables les plus riches du pays à la « catastrophe économique » creusée par Emmanuel Macron.

Toutefois, ce symbole s’est heurté à un scepticisme cinglant, y compris de la part du rapporteur de la commission des finances, Philippe Juvain. Ce dernier a mis en garde contre le piège de l’idéologie, estimant que ces micro-taxes ne résolvent en rien le problème structurel du déficit. Il a rappelé l’échec cuisant de l’impôt sur les yachts, qui, en 2019, devait rapporter 100 millions d’euros. Résultat : les propriétaires de yachts ont simplement changé le drapeau de leurs navires, et la recette fiscale a fondu à seulement 60 000 euros. Un exemple cruel que les très riches possèdent la mobilité nécessaire pour échapper à toute imposition ciblée.

Le Double Jeu du RN et le Deal Secret des Socialistes

La position du Rassemblement National sur cette question est apparue particulièrement ambiguë. Malgré sa rhétorique anti-système, le parti de Marine Le Pen s’est positionné clairement contre la taxe Zucman, affirmant qu’« une drogue reste une drogue » (l’impôt étant la drogue du socialiste). Le RN s’est présenté comme le « premier parti des entrepreneurs », défendant la liberté d’entreprise et s’opposant à la taxation des biens professionnels. Cette position a fait dire à Jean-Philippe Tanguy que quiconque la critiquait se faisait le « relais de la propagande pitoyable de la gauche ». L’ambiguïté demeure : le RN se pose en défenseur de la TPE/PME tout en protégeant, de fait, les intérêts des ultra-riches, souvent en phase avec la majorité sur cette question.

Cependant, c’est du côté du Parti Socialiste que l’accusation de trahison a été la plus forte. Face à la résistance du gouvernement et du MoDem (qui refuse de toucher au capital productif des entreprises), les socialistes ont déposé un amendement de repli : une taxe allégée de 3 % sur les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros, excluant les start-up et les PME, et rapportant environ 7 milliards d’euros.

Pour les écologistes et LFI, ce recul est une « mise en garde amicale » qui cache un accord secret. Mathilde Panot (LFI) a dénoncé l’idée que le Parti Socialiste fasse un « deal avec la Macronie » par peur de revenir devant les électeurs, le qualifiant d’« opération de sauvetage de la Macronie ». Si le PS, dont Olivier Faure avait pourtant menacé la censure sans taxation des ultra-riches, vote finalement le budget sans la taxe Zucman, cela confirmera que la priorité n’est pas la justice fiscale ou la rupture avec la politique macroniste, mais le maintien des députés sur leurs sièges.

L’Avenir en Suspension : La Censure Toujours à l’Horizon

La mise en garde est désormais sur la table : si le gouvernement rejette la taxe Zucman dans sa version originale, mais aussi son amendement de repli, il sera contraint d’assumer deux conséquences. D’une part, il laissera filer le déficit ; d’autre part, il continuera à privilégier des mesures d’économie « injustes » supportées par les Français (gel des pensions, doublement des franchises médicales).

Le sort qui sera fait à la taxe Zucman—sous son format original ou dans une version allégée—déterminera non seulement le contenu final du budget, mais aussi l’avenir du gouvernement. Bien que le calendrier soit incertain (le débat sur la sécurité sociale interrompt les discussions jusqu’à la mi-novembre), la menace d’une motion de censure est plus que jamais présente. Le « monstre de Frankenstein » budgétaire risque fort d’être démantelé par le Parlement si les macronistes et leurs alliés ne parviennent pas à offrir un semblant de justice fiscale au peuple français.