Cagnac-les-Mines, Tarn. Il est 4h30 du matin, ce mercredi 16 décembre 2020. Dans la petite commune paisible, la nuit est noire et glaciale. Tandis que le village dort encore, un appel de détresse brise le silence. Au bout du fil, Cédric Jubillar, artisan plaquiste de 33 ans. Sa voix est celle d’un homme paniqué : sa femme, Delphine, une infirmière appréciée de tous et mère dévouée de deux jeunes enfants, a disparu. Volatilisée.

Selon ses dires, il aurait été réveillé par les pleurs de leur fille de 18 mois. En se levant, il constate le vide. Delphine n’est pas dans le lit. Elle n’est pas dans le salon. Les deux chiens du couple sont dehors, ce qui est inhabituel. Delphine serait partie, seule, en pleine nuit, vêtue d’une simple doudoune blanche, avec son téléphone mais sans papiers, ni argent, ni lunettes. Une promenade nocturne dont elle ne reviendra jamais.

Ainsi débute l’affaire qui va, mois après mois, tenir la France en haleine. Une disparition inquiétante qui se transforme rapidement en une énigme criminelle aux multiples zones d’ombre, rappelant inévitablement de sombres précédents.

Le Portrait de la “Mère Idéale” face au “Bad Boy”

Pour comprendre le choc qui secoue la région, il faut saisir qui était Delphine. À 33 ans, cette infirmière à la clinique Claude Bernard d’Albi est décrite par tous comme une femme douce, studieuse et aimante. Elle incarne la stabilité, la “mère de famille idéale” qui jongle entre ses gardes de nuit harassantes – notamment auprès de patients en fin de vie – et l’éducation de ses enfants le jour.

Face à elle, Cédric Jubillar offre un contraste saisissant. Rencontré lors d’une soirée d’anniversaire alors qu’ils étaient à peine majeurs, il traîne une réputation de “bad boy” local. Consommateur assumé de cannabis, impulsif, parfois colérique avec le voisinage, il ne fait pas l’unanimité, surtout auprès des proches de Delphine. “On a beau lui dire que c’est pas un mec pour elle, qu’il fout rien… elle y va quand même”, confie un observateur. C’était un amour de jeunesse, passionnel, né contre l’avis de tous.

Mais seize ans plus tard, la passion a laissé place à l’amertume. Le couple est à l’agonie. Le projet de leur vie, cette maison qu’ils construisent de leurs propres mains à Cagnac-les-Mines, est devenu le symbole de leur échec. Ce qui devait être un palais de conte de fées ressemble à un chantier abandonné, un “bunker” inachevé entouré de débris, où la famille vit dans des conditions précaires. La crise du Covid-19 a fini d’achever les finances du ménage : Cédric, artisan à son compte, a peu de chantiers, tandis que Delphine, en première ligne à l’hôpital, porte le foyer à bout de bras. La surcharge mentale est totale.

Les Fissures d’une Vie “Parfaite”

Si sur les réseaux sociaux, le couple affichait encore des sourires de façade, en coulisses, la rupture était consommée. Le divorce était acté. Delphine avait tout prévu : elle voulait la garde exclusive des enfants et comptait refaire sa vie dès le début de l’année suivante. Pire encore pour l’ego de Cédric, elle avait rencontré quelqu’un.

L’enquête révélera l’existence d’un “jardin secret” : un amant virtuel, un confident rencontré en ligne avec qui elle échangeait énormément. Cédric l’ignorait-il ? Pas sûr. Quelques jours avant le drame, il aurait découvert des relevés bancaires et des traces de réservations Airbnb, mettant au jour la double vie de son épouse.

La jalousie a-t-elle été le détonateur ? C’est la question qui hante les enquêteurs. Des témoins rapportent des scènes où Cédric rabaissait publiquement sa femme. “Je me sens perdu, je veux qu’elle revienne”, déclare-t-il pourtant aux journalistes au lendemain de la disparition, recroquevillé dans sa capuche, fuyant les regards accusateurs. Mais dans l’opinion publique, le parallèle avec l’affaire Jonathann Daval – ce mari éploré qui avait fini par avouer le meurtre de sa femme – est immédiat et dévastateur.

Une Enquête dans l’Impasse Technique

Dès les premières heures, la gendarmerie déploie des moyens colossaux : 80 militaires, hélicoptère, drones, plongeurs, et surtout, des chiens pisteurs. C’est là que le mystère s’épaissit. Les chiens marquent une trace précise : le chemin de Delphine s’arrête net à un panneau STOP, à seulement 200 mètres de son domicile.

Qu’est-ce que cela signifie ? Est-elle montée dans une voiture ? A-t-elle été enlevée ? La piste du rôdeur ou de la mauvaise rencontre semble peu crédible dans ce quartier résidentiel désert en plein couvre-feu. L’hypothèse d’un rendez-vous secret qui tourne mal est envisagée, mais comme le souligne un expert : “Les amants ne tuent pas leur maîtresse”. L’amant de Montauban, rapidement interrogé, fournit un alibi en béton : il était avec sa propre femme cette nuit-là.

Reste la technologie. Le téléphone de Delphine, seul objet disparu avec elle, a borné près de la maison, puis s’est déplacé vers une zone isolée et accidentée à 2 km de là, avant de s’éteindre. Plus troublant encore : près de deux mois après la disparition, ce téléphone s’est brièvement rallumé et a émis un signal. Était-ce Delphine ? Une tierce personne ? Ou le meurtrier tentant de brouiller les pistes ?

La Maison passée au Crible

Face à l’absence de corps et d’indices extérieurs probants, les enquêteurs reviennent inlassablement vers le huis clos familial. La maison inachevée est perquisitionnée de fond en comble. On utilise le “Bluestar” pour révéler des traces de sang lavées, on passe les murs au sonar pour chercher des cavités cachées. Rien. Pas la moindre trace de violence, pas une goutte de sang.

Les cheveux des enfants sont même analysés pour vérifier s’ils n’ont pas été drogués aux somnifères pour ne rien entendre cette nuit-là. C’est le calme plat, un silence assourdissant qui contraste avec la tempête médiatique qui s’abat sur Cédric.

Isolé, barricadant sa maison derrière des murs de parpaings pour échapper aux caméras, Cédric Jubillar devient le suspect numéro un par défaut. Son attitude, jugée provocatrice – il lance aux journalistes : “Vous cherchez la m** ou quoi ?”* – ne joue pas en sa faveur. Pourtant, à ce stade de l’enquête documentée ici, il reste libre, sans mise en examen, clamant son innocence face à une opinion publique qui l’a déjà condamné.

Une Attente Insupportable

Pour la famille et les amis de Delphine, le temps s’est arrêté le 16 décembre 2020. L’espoir de la retrouver vivante s’amenuise jour après jour. La thèse du départ volontaire est balayée par tous ceux qui la connaissaient : Delphine n’aurait jamais abandonné ses enfants.

Deux clans s’opposent désormais : les proches de Delphine, murés dans un silence digne et douloureux, et le clan Jubillar, soudé autour de Cédric. Lors des battues citoyennes rassemblant près de 1800 personnes, cette fracture est visible, physique. Les deux familles ne se mélangent pas.

L’affaire Jubillar reste, pour l’heure, un puzzle auquel il manque la pièce centrale : le corps de Delphine. Crime parfait ou innocence réelle ? Tant que la vérité n’éclate pas, Cagnac-les-Mines restera hanté par le fantôme de l’infirmière qui s’est volatilisée dans la nuit, laissant derrière elle une famille brisée et un pays entier en quête de réponses.