L’affaire Asunta Basterra : Le meurtre prémédité de la “fille parfaite” qui a bouleversé l’Espagne

Asunta Basterra : Pourquoi deux parents ont-ils assassiné leur enfant  adopté ? | Le Coin Du Crime | Podcasts sur Audible | Audible.fr

En Galice, au nord-ouest de l’Espagne, la forêt de Katchera est d’ordinaire un lieu paisible. Mais au pied d’un arbre, un mémorial improvisé rappelle le drame qui a figé cette communauté dans l’horreur. Des fleurs, des peluches et quelques mots : “Repose en paix, Asunta”. Il y a un an à peine, le corps de cette petite fille de 12 ans était retrouvé ici, abandonné sur le bord d’un chemin.

L’assassinat d’Asunta Basterra n’est pas un fait divers ordinaire. C’est la chronique d’une trahison absolue, la chute vertigineuse d’une famille présentée comme un modèle, et le mystère insondable de deux parents accusés d’avoir méthodiquement empoisonné et assassiné leur propre fille adoptive. L’Espagne entière a été choquée par cette affaire, non seulement par la brutalité du crime, mais aussi par le profil de ceux qui sont aujourd’hui derrière les barreaux.

Pour comprendre l’onde de choc, il faut revenir à l’image publique de cette famille. Asunta Basterra Porto n’était pas n’importe quelle enfant. Arrivée de Chine alors qu’elle n’était qu’un bébé, elle était la première enfant chinoise adoptée à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ses parents, Alfonso Basterra et Rosario Porto, étaient des notables de la ville. Lui, journaliste respecté ; elle, avocate issue d’une famille prestigieuse.

Ensemble, ils formaient une trinité qui cochait toutes les cases de la réussite sociale et du bonheur familial. Ils avaient même participé, il y a quelques années, à un documentaire sur l’adoption internationale, offrant aux caméras l’image d’un cocon d’amour. Alfonso y racontait avec tendresse comment la petite Asunta, à son arrivée, ne voulait que les bras de ses nouveaux parents.

Asunta a grandi pour devenir une enfant que tous décrivaient comme brillante. Polyglotte, elle parlait trois langues, dont le chinois. Musicienne, elle excellait au piano. Danseuse, elle suivait des cours avec passion. À l’école, la plus cotée de la ville, elle avait même sauté une classe. Ses professeurs, aujourd’hui encore sous le choc, évoquent une élève sans problème, sociable et pleine d’amis.

Mais derrière cette façade lisse et enviable, des fissures profondes lézardent le portrait de famille.

Le premier signe tangible de ce malaise remonte à trois mois avant le drame. Asunta envoie un texto terrifiant à sa meilleure amie : “Je suis nerveuse aujourd’hui on a essayé de me tuer”. L’amie, incrédule, demande qui. Asunta promet de tout lui raconter le lendemain. Elle ne le fera jamais.

À l’époque, personne ne prend cette alerte au sérieux. L’entourage met ces propos sur le compte des difficultés familiales. Car le couple idéal n’existe plus. Il y a deux ans, Rosario et Alfonso ont divorcé. La garde d’Asunta a été confiée à la mère, mais la fillette continue de déjeuner tous les jours avec son père.

Asunta elle-même exprime un mal-être de plus en plus sombre. À l’école, elle rédige d’étranges poèmes sur sa mère, la décrivant comme “avare”, “pas très jolie”, et concluant par des phrases troublantes : “elle boit beaucoup” ou encore “cette mince est jolie femme a voulu arrêter le vice de la cocaïne et moi je l’ai aidé pour cela”. Plus inquiétant encore, l’adolescente tient un blog en anglais où elle exprime des idées morbides, racontant l’histoire d’un double meurtre dans un parc, celui d’un père et d’une mère. Des signaux d’alarme assourdissants que personne n’a su, ou voulu, entendre.

L'affaire Asunta, retour sur un crime familial qui a bouleversé l'Espagne

Le samedi 21 septembre, l’horreur bascule dans le réel. À 22h30, Rosario Porto et Alfonso Basterra se présentent au commissariat pour signaler la disparition de leur fille. Quelques heures plus tard, à une heure du matin, la nouvelle tombe : le corps d’une enfant a été retrouvé par un passant dans un chemin forestier. C’est Asunta.

Sur place, la scène intrigue les enquêteurs. La petite fille est morte étouffée. Elle ne porte aucune trace de coups, n’a pas été violée. Le crime ne ressemble pas à l’œuvre d’un prédateur sexuel. Près d’elle, on retrouve des cordelettes oranges. Détail troublant rapporté par la journaliste Sandra Couina, première sur les lieux : le corps semble avoir été déposé avec une forme de tendresse.

Lorsque la police se rend chez Rosario Porto pour lui annoncer la terrible nouvelle, ils la trouvent au lit, dormant tranquillement. Une attitude qui, pour un parent dont l’enfant vient de disparaître, paraît au mieux étrange, au pire, suspecte.

Très vite, le comportement de la mère éveille les soupçons. Aux policiers, Rosario raconte une histoire simple : elle est allée au centre commercial, laissant Asunta seule à la maison. À son retour, la maison était vide. Mais les enquêteurs vont découvrir que Rosario ment depuis le début.

Les caméras de surveillance de la ville vont méthodiquement démonter son alibi. À 18h15, heure à laquelle elle se disait au centre commercial, Rosario est filmée au volant de sa voiture, s’arrêtant devant chez elle. Les caméras captent un passager de petite taille à ses côtés. Pour la police, il s’agit d’Asunta. Une autre caméra, celle d’une station-service à la sortie de la ville, la filme à nouveau. La voiture prend la direction de la maison de campagne de la famille, située à une quinzaine de kilomètres, tout près de la forêt où le corps d’Asunta a été retrouvé.

L’analyse du système d’alarme de cette maison de campagne confirme sa présence : il a été désactivé ce jour-là à 18h33. Rosario y a laissé ses empreintes. Elle y est restée jusqu’à la nuit tombée. Pourquoi avoir menti ? Qu’a-t-elle fait pendant ces heures cruciales ?

La perquisition de la maison de campagne va sceller son sort. Les policiers y trouvent des morceaux de cordelettes oranges, identiques à celles retrouvées près du cadavre d’Asunta. L’étau se resserre. Rosario Porto est arrêtée et placée en garde à vue. Devant chez elle, la foule, ayant appris la nouvelle, l’attend pour crier sa haine. L’avocate respectée est devenue l’ennemie publique numéro un.

Mais l’enquête n’est pas terminée. L’autopsie va révéler un détail encore plus monstrueux. Si Asunta est bien morte étouffée, elle a d’abord été neutralisée. Son organisme contient des doses massives d’un antidépresseur pour adulte. Et ce n’est pas la première fois. L’analyse toxicologique prouve que la fillette ingérait ce médicament depuis trois mois.

Trois mois. C’est la date du terrible texto envoyé à son amie. Quelqu’un essayait bien de la tuer, lentement, méthodiquement.

Les enquêteurs se demandent qui a pu lui administrer ces médicaments. La mère n’a pu agir seule. Ils font le tour des pharmacies et découvrent que c’est Alfonso Basterra, le père, qui a acheté à plusieurs reprises cet antidépresseur, en utilisant de fausses ordonnances.

Le jour du meurtre, le puzzle se reconstitue. Asunta a déjeuné avec ses deux parents. L’autopsie montre que la dose fatale a été ingérée vers 15h00, juste après ce repas. Pour la police, le doute n’est plus permis : la mère et le père sont complices. Alfonso est arrêté à son tour. Il n’a aucun alibi pour le jour du meurtre.

L’Espagne est sous le choc. L’incompréhension est totale. Pourquoi ? Pourquoi ces parents, qui avaient tout pour eux, qui avaient traversé le monde pour adopter cet enfant, l’auraient-ils assassinée de sang-froid ?

L'affaire Asunta : mystères dévoilés

Plusieurs hypothèses sont sur la table. Ricardo Perez Lama, avocat d’une association de protection de l’enfance, penche pour un mobile psychologique lié à l’histoire chaotique du couple. “Leur relation est fondée sur des hauts et des bas,” explique-t-il. “Ils se mettent ensemble, puis divorcent. Rosario voulait se remettre avec Alfonso.” Selon lui, ce schéma toxique se serait reporté sur l’enfant : “Ils l’ont acceptée comme leur fille, puis au bout d’un certain moment, ils n’en voulaient plus”. Une hypothèse terrifiante : Asunta serait devenue un fardeau.

Le procureur de Saint-Jacques-de-Compostelle retient une autre théorie, encore plus sombre. Il pense qu’Alfonso voyait en Asunta la cause de la destruction de son couple. Dans son acte d’accusation, le magistrat écrit noir sur blanc que l’assassinat de leur fille ensemble les aurait “liés à jamais”. “La disparition de sunta… place Rosario dans les mains d’Alfonso définitivement”. Un pacte de sang pour sceller des retrouvailles macabres.

Face à ces accusations, la défense s’organise. L’avocat de Rosario, Louise Boutiret, clame l’innocence de sa cliente. Il soutient qu’il n’y a aucun élément concret contre elle, qu’elle est la “seconde victime” de cette affaire. Il avance la thèse d’un complot, d’une machination. “Rosario est une femme intelligente,” plaide-t-il. “Elle n’est pas assez stupide pour laisser traîner des preuves comme ça”. Selon lui, quelqu’un de son entourage aurait tout manigancé pour la faire accuser.

Incarcérés dans la même prison mais dans des bâtiments séparés, Alfonso et Rosario clament tous deux leur innocence, risquant la réclusion à perpétuité. Mais Rosario, l’avocate combative, tente une dernière manœuvre pour attendrir l’opinion publique. Le jour anniversaire de la mort de sa fille, elle fait publier un encart dans la presse locale. Une photo d’Asunta, souriante, accompagnée de ces mots : “Asunta je t’aimerai toujours. Signé ta maman”. Une déclaration d’amour posthume qui sonne comme une provocation, face au poids des preuves qui l’accusent du crime le plus impardonnable qui soit.