Cédric Jubillar: et s’il était acquitté?

La salle d’audience d’une cour d’assises n’est pas un plateau de théâtre, mais en cet instant, le sort d’un homme se joue sur une corde raide entre le doute et l’intime conviction. Cédric Jubillar, plaquiste de formation, est assis sur le banc des accusés pour le meurtre présumé de son épouse Delphine. Disparue depuis plusieurs années, infirmière sans histoire, son corps n’a jamais été retrouvé.
Ce procès est un véritable défi à la justice, une énigme judiciaire sans précédent où la conviction des jurés titulaires et des magistrats professionnels est mise à l’épreuve. En l’absence de corps, de scène de crime ou de preuve matérielle irréfutable, l’accusation doit s’appuyer sur un faisceau d’indices troublants pour contourner ce mur de l’incertitude. La défense, quant à elle, s’arc-boute sur le principe fondamental du droit : l’absence de preuve est l’absence de culpabilité. Au terme de plusieurs semaines d’audience, Cédric Jubillar risque la réclusion criminelle à perpétuité. Ou l’acquittement.
I. Les failles et les fractures d’un couple désuni
Pour comprendre la tragédie, la cour se penche d’abord sur la personnalité complexe de l’accusé et sur la dynamique du couple Jubillar. Les experts s’accordent à dépeindre un homme profondément immature, dont l’enfance fut marquée par des abandons et des rejets successifs qui ont engendré de fortes carences affectives. Cédric est décrit comme autoritaire, arrogant, vantard, impulsif, et manipulateur – l’archétype de l’homme-enfant qui n’a jamais grandi.
Le mariage avec Delphine, tout juste majeure lorsqu’elle le rencontre, fut la rencontre de deux mondes que tout opposait. Delphine, une jeune fille de bonne famille, très discrète et timide, cherchait, selon les analyses, la protection d’un homme un peu « caïd » capable de lui apporter une sécurité. Cédric, issu des basses couches sociales, cherchait celle qui pourrait « l’élever » socialement. Fusionnels au début, ils sont rapidement décrits comme l’adage que « les contraires s’attirent ».
Mais l’équilibre de cette union est fragile. Cédric ne parvient pas à conserver un emploi stable, il est accro au cannabis et n’hésite pas à taper dans les comptes de son épouse et de ses enfants pour subvenir à ses besoins. Face à cette vie qu’elle qualifie de « Bidochon » dans ses messages, Delphine, arrivée à la trentaine, exprime clairement sa volonté de se séparer à l’été de la disparition. Elle a tourné la page, tandis que Cédric s’accroche, lui envoyant des messages désespérés : « Reviens-moi vite, tu es ma vie, tu es mon cœur ».
Ce divorce imminent révèle également un côté sombre et violent. Delphine, infirmière dévouée et mère douce, est confrontée à la dureté de Cédric, notamment à l’égard de leurs deux enfants. Il est établi que Louis, l’aîné, « tremblait » face aux réactions « brutales et inattendues » de son père. Pire, Cédric l’aurait harcelée verbalement, allant jusqu’à appeler leur fille, qui tardait à marcher, son « handicapé ». Quelques semaines avant la disparition, la jalousie le submerge, le poussant à proférer des menaces glaçantes : il « préfère la savoir morte que de la savoir avec un autre », il « n’hésiterait pas à la tuer et qu’on ne la retrouverait plus ». Une provocation, assure la défense, typique d’un homme « qui essaie de se le raconter » pour préserver sa dignité dans son milieu social.
II. La nuit fatale : indices accablants et zones d’ombre
L’enquête a méticuleusement reconstitué les heures qui ont suivi la nuit de la mi-décembre, une période où l’absence de Delphine est devenue un mystère national. Cédric Jubillar donne sa version des faits : réveillé au milieu de la nuit par les pleurs de sa petite fille, il constate l’absence de son épouse dans la chambre et le salon. Il appelle la gendarmerie peu après. Il avance l’hypothèse qu’elle serait sortie promener les chiens, rentrés seuls, une assertion que l’enquête dément, car Delphine ne sortait jamais les animaux.
Dès l’arrivée des premiers intervenants, le tableau est troublant.
Le Pyjama Panda et la Machine à Laver : Très tôt le matin, Cédric accueille les gendarmes en pyjama panda. Un détail curieux, mais non incriminant. Plus troublant encore, une des gendarmes le trouve accroupi devant la machine à laver, le hublot ouvert, en train de le refermer. Cédric expliquera qu’il rangeait le linge sale et une couette souillée par l’urine de la chienne, faute de savoir quoi faire en attendant les enquêteurs. L’accusation redoute une tentative d’effacement de preuves, suggérant que l’étranglement ait pu entraîner la déflation d’un liquide corporel. Bien que l’eau du siphon se soit révélée non concluante, l’acte de faire une lessive en pleine nuit, alors que son épouse est portée disparue, est jugé hautement suspect.
Les Lunettes Brisées, Symbole de Violence : Le seul indice matériel de violence est découvert sur le bar : les lunettes brisées de Delphine. Des expertises formelles concluent qu’elles « n’ont pas pu se casser simplement en tombant » mais nécessitaient « une force très importante ». Pour l’accusation, c’est la preuve d’une violente altercation physique. La défense rétorque qu’elles étaient déjà cassées et que Delphine portait des lentilles ce jour-là.
Les Témoignages des Voisins et de Louis : L’enquête de voisinage révèle que des voisines ont entendu des « cris stridents » et des « cris d’effroi » mêlés à des aboiements de chiens, compatibles avec une scène de violence domestique. Le témoignage du petit Louis ajoute au trouble. Entendu à plusieurs reprises, l’enfant finit par évoquer une dispute entre ses parents, où il a tenté de faire du bruit pour les séparer avant que quelqu’un ne vienne fermer sa porte de chambre. Un témoignage important, mais fragile et « évolutif » par nature, que la défense tend à minimiser.
III. La piste téléphonique et les doutes persistants
Les éléments les plus incriminants sont d’ordre numérique. L’étude de la téléphonie a révélé une vérité que l’accusé a d’abord tenté de dissimuler : son portable a été éteint pendant plusieurs heures, une pratique exceptionnelle pour lui. Pour l’accusation, cet acte est « confondant », dénonçant une volonté délibérée de rendre l’outil de preuve inopérant durant la période cruciale du crime.
Le mystère s’épaissit autour du téléphone de Delphine, qui n’a jamais été retrouvé. Les juges ont pu retracer sa localisation, montrant qu’il n’a pas quitté les environs immédiats de la maison. Plus troublant encore, il a été activé à plusieurs reprises par une « intervention humaine » dans la nuit, y compris à une heure où Cédric Jubillar était avec les gendarmes. Pour sa défense, cette activation tardive prouve que Delphine était encore en vie, ou qu’une tierce personne était impliquée. L’accusation balaye cette hypothèse, suggérant que Cédric aurait pu manipuler rapidement le portable de son épouse pendant que les gendarmes étaient occupés à d’autres constatations dans la pièce.
Malgré l’exploration d’autres pistes – la thèse du départ volontaire (contredite par la présence de son sac à main et de ses papiers d’identité au domicile) ou l’implication de l’amant (dont l’alibi était bétonné par la domotique de son domicile) – l’enquête s’est focalisée quasi exclusivement sur Cédric Jubillar, le suspect numéro un. Certains regrettent que d’autres pistes, comme les délinquants sexuels inscrits dans la zone, aient été « un peu fait semblant d’explorer » par des enquêteurs trop rapidement convaincus.
IV. La provocation et les confessions explosives

Le comportement de Cédric Jubillar après la disparition a largement contribué à forger l’image d’un homme coupable. Accusé de détachement et d’une faible implication dans les battues citoyennes organisées pour retrouver Delphine, l’homme est jugé pour son manque d’émotion. Sa réponse est sans appel : il explique son attitude par la provocation. « Dès le premier jour, j’étais le suspect numéro un. Tout le monde est pied le moindre de mes faits et gestes… J’ai fait ce que je sais faire de mieux : j’ai fait de la provoque ».
Mais c’est en prison que la tension atteint son paroxysme. Cédric Jubillar se confie à un codétenu, lui expliquant qu’il a bien tué sa femme, donnant des indications sur la manière et le lieu de l’enfouissement du corps, sollicitant même des conseils pour s’assurer que les restes ne réapparaissent pas. Plus sensationnel encore, il aurait fait des aveux détaillés à une petite amie de parloir. Il lui aurait raconté une strangulation silencieuse, Delphine s’étant fait surprendre alors qu’elle se dirigeait vers le canapé. Il aurait décrit la défécation de la victime sur la couette, une tache qu’il aurait ensuite lavée en expliquant aux gendarmes qu’il s’agissait d’urine de chien. Enfin, il lui aurait décrit le transport du corps : dans la voiture, au point mort et sans phare, vers un champ ou une ferme, son « jardin secret » où ne resteraient plus que les os.
La défense maintient que ces propos ne sont que de la « provocation absurde » d’un homme lassé et harcelé de questions. Ces témoignages ne sont pas des aveux formels devant une cour et présentent des incohérences.
V. Le dilemme final : l’acquittement faute de preuves
Le procès Jubillar est l’incarnation d’un dilemme fondamental. Les indices sont lourds, le mobile est là (l’infidélité, la rage, la menace de mort), les aveux, quoique indirects, sont explosifs, et le comportement de l’accusé est perçu par beaucoup comme celui d’un homme coupable.
Pourtant, la justice se doit de se fonder sur des preuves. Et pour l’heure, le corps de Delphine reste introuvable, et aucune expertise n’a pu établir avec certitude une scène de crime. La défense de Cédric Jubillar rappelle à la cour la boussole de la justice : « Est-ce qu’on a des éléments de preuve de ce qu’il s’est passé ? Est-ce qu’on a des éléments de preuves permettant de l’imputer à Cédric Jubillar ? La réponse est non ».
Écroué depuis plusieurs années, Cédric Jubillar a déjà passé un temps considérable en détention provisoire. Son sort est désormais entre les mains des jurés, qui doivent se forger une « intime conviction ». Le verdict sera terrible quoi qu’il arrive : la réclusion à perpétuité pour l’époux, ou un acquittement qui libérerait l’homme le plus haï de France, faute de l’ultime preuve. Le doute, dans cette affaire, est l’arme la plus redoutable. L’ombre de l’acquittement plane lourdement sur cette affaire, car dans l’État de droit, les soupçons ne font pas la preuve.
News
End of content
No more pages to load

