Les Jumelles Françaises qui Partageaient un Esclave… Jusqu’à ce qu’Elles Tombent Enceintes…

Le navire accosta au port de Saint-Pierre en Martinique par une matinée brumeuse de juillet 1765. Célestine et Marguerite de Valmont descendirent la passerelle avec la grâce aristocratique qu’on leur avait enseigné depuis l’enfance à Versailles.

 Leur robe de soie noir contrastaient avec l’éclat tropical du port, témoignage visible de leur deuil récent. À ans, les jumelles venaient d’hériter de la plantation Belleevue, le domaine colonial que leur père avait bâti pendant 30 ans avant qu’une fièvre tropicale ne l’emporte en trois jours. Monsieur Baumont, le régisseur de la plantation, les attendait sur le quai. C’était un homme trapu au visage rougi par le soleil et le Rome qui leur fit une révérence maladroite.

 Mesdemoiselles de Valmont, soyez les bienvenus. La plantation vous attend. J’ai préparé la grande maison selon vos instructions. Durant le trajet en calèche vers Belleevue, les sœurs observèrent en silence le paysage luxuriant. Des champs de cannes à sucre s’étendaient à perte de vue, ondulant sous la brise marine.

 Des dizaines de silhouettes courbé travaillaient sous le soleil écrasant, leur peau luisant de sueur. Célestine serra la main de sa sœur, un geste qu’elle répétait depuis l’enfance dans les moments d’incertitude. La grande maison apparut au détour d’un virage majestueuse avec ses colonnes blanches et ses balcons en fer forgé. Les jardins, bien que négligés depuis la mort de leur père, conservaient une beauté sauvage.

 Un groupe de domestiques attendaiit devant l’entrée principale, aligné avec une précision militaire. “Voici le personnel de maison, annonça Baumont, Marie-Rose, la cuisinière, Justine et Thérèse, les femmes de chambre et Thomas qui s’occupe de l’entretien général de la propriété. Thomas se tenait légèrement à l’écart des autres. C’était un homme d’environ 25 ans, grand et athlétique, avec des traits fins qui dénotaient un mélange d’origine.

 Ses yeux noirs croisèrent brièvement ceux de Célestine avant qu’il ne baisse respectueusement le regard. Quelque chose dans ce bref échange fit battre le cœur de la jeune femme plus vite. À côté d’elle, Marguerite avait également remarqué Thomas et ses doigts se crispèrent imperceptiblement sur l’éventail qu’elle tenait. Les premières semaines s’écoulèrent dans un tourbillon d’adaptation.

 Les jumelles devaient apprendre les subtilités de la gestion d’une plantation coloniale, un monde brutal et complexe, bien éloigné des salons parisiens où elles avaient grandi. Baumont leur présentait chaque matin les comptes, les récoltes, les problèmes de discipline parmi les esclaves.

 Les chiffres étaient impressionnants, 120 âmes possédés, 300 hectares de cannes à sucre, des revenus qui faisaient de belles vues l’une des plantations les plus prospères de la Martinique. Et ce qui fascinait véritablement les sœurs, c’était Thomas. Il apparaissait partout où elle se trouvait, réparant une balustrade, taillant les haie, transportant des meubles.

 Contrairement aux autres esclaves qui gardaient les yeux baissés, Thomas osait parfois lever le regard et dans ses yeux brillit une intelligence rare. Leur père, apprirent-ell, l’avait acheté enfant à un planteur créole ruiné et lui avait enseigné à lire et à écrire. une pratique inhabituelle mais qui faisait de lui un domestique particulièrement précieux. Un soir, alors que la chaleur tropicale rendait le sommeil impossible, Célestine se rendit dans la bibliothèque pour trouver un livre. Ellie découvrit Thomas debout devant les étagères, un volume entre les mains.

 Il sursauta en la voyant, le livre lui échappant presque des mains. Pardon, mademoiselle, monsieur de Valmont me permettait de lire le soir. Je ne savais pas que. Continue ! L’interrompit Célestine, surprise par sa propre audace. Que lis-tu ? Voltaire, mademoiselle Candide, un sourire effleura les lèvres de Célestine.

 Mon père avait bon goût. Et toi aussi, apparemment. Les jours suivants, Célestine se surprit à chercher des prétextes pour croiser Thomas, une conversation sur un livre, une question sur l’entretien des jardins, des échanges brefs, mais qui créaient entre eux une complicité dangereuse. Elle remarqua que Marguerite faisait de même, appelant Thomas pour des tâches insignifiantes, s’attardant dans les pièces où il travaillait. Un matin, alors qu’elle prenait le petit- déjeuner sur la terrasse, Marguerite brisa le

silence qui s’était installé entre ell depuis plusieurs jours. Tu le remarques aussi, n’est-ce pas ? Célestine n’eut pas besoin de demander de qui elle parlait. Oui, nous avons toujours tout partagé, Célestine. Nos robes, nos bijoux, nos secrets. Marguerite posa sa tasse avec une précision délibérée.

 Pourquoi pas lui ? Le silence qui suivit était chargé de possibilités interdites. Dans le jardin, Thomas taillait les rosiers, inconscient de la conversation qui allait sceller son destin. L’arrangement commença sans qu’un mot soit jamais prononcé explicitement. Ce fut d’abord un regard échangé entre les sœurs, puis une série de décisions qui semblaient anodine mais qui tissaient lentement la toile de leur pacte secret.

 Thomas fut retiré de ses tâches habituelles et assigné exclusivement au service personnel des jumelles. Beaumont ne posa pas de question habitué aux caprices de l’aristocratie. On installa Thomas dans une petite chambre adjacente aux appartements des maîtresses officiellement pour qu’il soit disponible à toute heure.

 Marie- Rose, la cuisinière leva un sourcil mais garda ses réflexions pour elle. La première nuit, ce fut Célestine qui frappa à la porte de Thomas. Elle portait une robe de chambre en soie blanche, ses cheveux défets cascadant sur ses épaules. Thomas ouvrit la porte, son visage trahissant la compréhension immédiate de la situation.

 Il ne dit rien, se contentant de s’incliner légèrement. Célestine entra dans la petite pièce, referma la porte derrière elle et pour la première fois de sa vie, agit selon ses désirs plutôt que selon les conventions qu’il avait étouffé depuis l’enfance. Le lendemain soir, ce fut Marguerite. Elle ne frappa même pas, entrant directement dans la chambre de Thomas avec l’assurance d’une propriétaire exerçant son droit.

 Thomas comprit alors qu’il était devenu l’objet d’un partage entre les deux sœurs. Un secret qu’il devrait porter comme une chaîne invisible, s’ajoutant à celle bien réelle de son statut d’esclave. Les semaines s’écoulèrent dans cette routine étrange. Les jumelles alternaient leurs visite nocturne sans jamais en discuter ouvertement entre elles.

 Durant la journée, elle maintenait les apparences, traitant Thomas avec la distance appropriée d’une maîtresse envers son domestique. Mais la nuit, derrière les portes closes, les barrières sociales s’effondraient dans un mélange complexe de désir, de pouvoir et de transgression. Thomas navigation avec une prudence calculée. Il comprenait que sa survie dépendait de sa capacité à satisfaire les deux femmes sans jamais montrer de préférence pour l’une ou l’autre. Avec Célestine, il découvrit une sensibilité cachée derrière son masque d’aristocrate.

 Elle lui parlait de Paris, de sa vie à Versailles, des livres qu’elle avait lu. Elle cherchait en lui non seulement un amant, mais aussi un confident, quelqu’un avec qui elle pouvait être elle-même, loin des contraintes sociales. Marguerite était différente, plus directe, plus dominatrice. Elle voyait dans ses rencontres une affirmation de son pouvoir.

 Elle ne cherchait pas la conversation mais l’intensité physique comme si elle voulait prouver quelque chose à elle-même ou à sa sœur. Thomas s’adaptait à ses deux personnalités, devenant un caméléon émotionnel par nécessité. Mais au fil des semaines, quelque chose changea imperceptiblement. Les visites de Célestine se prolongeaient.

 Elle s’endormait parfois dans la petite chambre, sa tête reposant sur la poitrine de Thomas tandis qu’il fixait le plafond. conscient du danger croissant de cette intimité. Un soir, elle murmura dans la pénombre : “Si nous vivions dans un autre monde, Thomas, les choses pourraient être différentes.” Thomas ne répondit pas. Il n’y avait rien à dire.

 Il ne vivait pas dans un autre monde et les rêves étaient un luxe qu’un esclave ne pouvait se permettre. Marguerite, elle aussi montrait des signes de transformation. Sa domination initiale cédait parfois place à une vulnérabilité surprenante. Une nuit, après leurs débats, elle resta allongée près de lui, traçant du doigt les cicatrices sur son dos, vestige d’un châtiment reçu avant que leur père ne l’achète.

 “Mon père t’a-t-il jamais battu ?” demanda-t-elle soudainement. “Non, mademoiselle. Monsieur de Valmont était un homme juste et nous sommes-nous justes. Sa voix contenait une note de désespoir que Thomas n’avait jamais entendu auparavant. Vous êtes mes maîtresses. La justice n’entre pas dans notre relation. Marguerite se redressa brusquement. Son visage durcit. Tu as raison. Ne l’oublie jamais.

Pendant ce temps, dans la grande maison, les domestiques commençaient à parler. Marie- Rose remarqua que Thomas ne prenait plus ses repas avec les autres. Justine nota les draps froissés dans sa chambre chaque matin, les regards échangés, les portes qui se fermaient silencieusement la nuit.

 Tout contribuait à créer une atmosphère de secret et de tension. Un après-midi, alors que les sœurs recevaient des voisins planteurs pour le thé, Madame Duen, une créole d’une cinquantaine d’années réputée pour ses commentaires à Serbe, observa Thomas servant le rafraîchissement.

 Quel magnifique spécimen vous avez là, mesdemoiselles ! Votre père avait toujours un œil pour la qualité.” Son ton suggérait qu’elle ne parlait pas seulement de compétences domestiques. Célestine et Marguerite échangèrent un regard bref mais chargé de sens. Après le départ des invités, Marguerite convoqua Thomas dans le bureau. Les gens commencent à parler. Il faut être plus discret. “Oui, mademoiselle.” Et Thomas ajouta Célestine depuis le seuil où elle venait d’apparaître.

 Ne crois pas que notre arrangement te donne des privilèges. Tu restes ce que tu es. Thomas inclina la tête, mais dans ses yeux brillait une lueur que les sœurs choisirent d’ignorer. Car la vérité qu’aucune des trois personnes dans cette pièce n’osait admettre était que les frontières entre maîtres et esclaves s’étaient dangereusement brouillées dans l’obscurité de leur nuit partagée.

 Septembre arriva avec ses pluies tropicales qui transformaient les chemins en rivière debout. La récolte de canne battait son plein et les journées s’emplissaient du bruit des machettes et des champs mélancoliques des esclaves dans les champ. C’est durant cette période que Célestine commença à ressentir les premiers malaises.

 Elle les attribua d’abord à la chaleur accablante et à la nourriture créole qu’elle avait du mal à digérer. Mais quand les nausées matinales persistèrent pendant deux semaines, une peur glaciale s’empara d’elle. Elle compta et recomta les jours depuis ses dernières règles, espérant s’être trompée dans ses calculs. Mais les chiffres ne mentait pas.

 Un matin, alors qu’elle vomissait discrètement dans une bassine que Justine avait apporté, Marguerite entra dans sa chambre sans frapper. Les deux sœurs se regardèrent et dans ce regard, Célestine vit la confirmation de ses pires craintes. Marguerite était pâle, ses mains tremblaient légèrement. Depuis combien de temps ? Demanda Marguerite d’une voix blanche. Six semaines, peut-être.

 Et toi ? Cinq semaines. Le silence qui suivit était assourdissant. Les implications de cette double révélation se déployaient dans l’esprit des deux femmes comme une toile d’araignée piégeant progressivement toutes les issues possibles. Elles étaient toutes deux enceintes et il n’y avait qu’un seul père possible. Célestine se laissa tomber sur le lit, sa tête entre ses mains.

 Qu’allons-nous faire ? Si quelqu’un l’apprend ? Personne ne l’apprendra ! Marguerite avec une détermination féroce. Nous trouverons une solution. Mais les jours passèrent sans qu’aucune solution ne se présente. Les jumelles ne pouvaient consulter un médecin local sans risquer que la nouvelle ne se répende dans toute la colonie.

 Elle ne pouvaient rentrer en France sans éveiller les soupçons de leur famille parisienne et elle ne pouvait certainement pas expliquer comment deux sœurs célibataires s’étaient retrouvées enceintes simultanément dans une plantation isolée. Pendant ce temps, Thomas continuait ses visites nocturnes, ignorant le secret que les deux femmes portaient.

 Un soir, alors que Célestine s’apprêtait à le rejoindre, Marguerite l’arrêta dans le couloir. Nous devons arrêter cela maintenant. Je sais. murmura Célestine. Mais comment lui expliquer sans ? Nous n’expliquons rien. Nous le remettons au champ. Nous disons à Baumont qu’il ne nous satisfait plus comme domestique.

 Célestine sentit une douleur aigue dans sa poitrine à cette idée. Au cours de ces derniers mois, elle s’était surprise à développer des sentiments pour Thomas qui allaient bien au-delà du simple désir physique. Dans leur moment d’intimité, elle s’était autorisée à imaginer un monde différent, une vie où les barrières sociales n’existaient pas.

 Marguerite, nous ne pouvons pas. Nous le pouvons et nous le devons insista Marguerite, ses yeux brillants de larmes contenues. Chaque jour que nous le gardons près de nous est un rappel de notre erreur. Et quand nos ventres commenceront à grossir, comment pourrions-nous supporter sa présence ? Le lendemain matin, Thomas fut convoqué dans le bureau.

 Les deux sœurs étaient assises derrière le grand bureau de leur père, créant une distance physique et émotionnelle qui n’avait pas existé depuis des mois. “Thomas”, commença Marguerite d’une voix froide qui ne tolérait aucune contradiction. “Nous avons décidé de réorganiser le personnel domestique. Tu retourneras travailler au champ sous la supervision de Beauaumont.” Thomas resta immobile.

Son visage ne trahissant aucune émotion, mais ses mains le long de son corps se serrèrent imperceptiblement en point. “Bien mes demoiselles, tu peux disposer ?” ajouta Célestine, incapable de regarder Thomas dans les yeux. Après son départ, Marguerite se tourna vers sa sœur. “C’était nécessaire.” “Je sais !” répondit Célestine, bien que son cœur lui hurlait le contraire.

 Les semaines suivantes furent une torture pour les trois personnes impliquées dans ce triangle impossible. Thomas travaillait maintenant dans les champs de Cann, maniant la machette sous le soleil impitoyable au côté des autres esclaves.

 Son statut privilégié avait disparu du jour au lendemain et les autres travailleurs l’observaient avec un mélange de méfiance et de satisfaction de le voir rabaisser à leur niveau. Célestine et Marguerite, elle vivaient dans un état de tension constante. Leur ventre commençaiit à s’arrondir légèrement. Un changement encore imperceptible pour les autres mais évident à leurs propres yeux. Elle portaiit des robes de plus en plus amplit les sorties sociales sous prétexte de fatigue d au climat.

 Un soir, Marie- Rose frappa à la porte du salon où les sœurs prenaient le thé. Son visage était grave. “Mes demoiselles, puis-je vous parler franchement ?” Marguerite hocha la tête, un pressentiment glacial l’envahissant. Je suis à votre service depuis vingt ans. J’ai servi votre père avec loyauté et je compte vous servir de même mais je ne suis pas aveugle. Elle marqua une pause. Si vous avez besoin d’aide quelqu’un qui sait garder un secret, je suis là.

 Le silence qui suivit était chargé de signification. Enfin, Célestine demanda d’une voix tremblante. Que sais-tu exactement ? Je sais que deux jeunes femmes enceintes ne peuvent pas gérer seul ce qui les attend. Je sais qu’il y a un homme impliqué et je peux deviner qui. Et je sais que dans cette colonie, un tel scandale détruirait tout ce que votre père a construit.

Marguerite se leva brusquement. Es-tu venu nous faire du chantage, Marie-Rose ? Non, mademoiselle, je suis venu vous offrir mon aide. J’ai des connaissances en matière d’accouchement et j’ai des contacts discrets qui pourraient arranger les choses une fois les enfants né. Arranger les choses, répétaine.

 Il existe des familles créoles qui adoptent des enfants sans poser de questions. Des orphelinas gérés par les sœurs. Des solutions qui permettraient de garder le secret. Pour la première fois depuis des semaines, les jumelles virent une lueur d’espoir. C’était une lueur sombre, chargée de sacrifices à venir. Mais c’était mieux que le désespoir total qui les avait envahis.

 Les mois passèrent dans une tension croissante. Célestine et Marguerite vivaient maintenant reclus dans la grande maison, prétextant une maladie tropicale pour justifier leur isolement. Baumont gérait la plantation avec une efficacité qui ne nécessitait pas leur présence constante. Les visiteurs étaient poliment conduit.

 La vie à Belle vue s’était transformée en une attente anxieuse. Mais l’isolement forcé commença à fissurer la relation entre les sœurs. Pour la première fois de leur vie, elle n’était plus unie face à l’adversité, mais divisée par une jalousie sourde qui grandissait chaque jour. Tout commença par des remarques anodines.

 Marguerite nota que le ventre de Célestine semblait plus gros que le sien. Célestine observant que sa sœur paraissait plus fatiguée, plus malade. Ces observations, qui auraient pu être des expressions de préoccupation sorales portaièrent maintenant une charge différente.

 La question non formulée de savoir laquelle d’entre elles portait véritablement l’enfant de Thomas. Car même si les deux femmes étaient enceintes, même si elles avaient partagé Thomas de manière presque égale, une question obsédente, les hantaiit. Laquelle des deux avaient-ils préféré ? Dans leur moment d’intimité avec lui, avaient-ils montré plus de tendresse, plus de passion avec l’une qu’avec l’autre.

 Un après-midi thorde de décembre, alors que les deux sœurs prenaient le thé dans le salon, Marguerite brisa le silence tendu. Tu es allé le voir ? Célestine leva les yeux de son ouvrage de broderie. Qui ? Ne me prends pas pour une idiote. Thomas, je t’ai vu hier soir traverser le jardin vers les quartiers des esclaves. Célestine sentit le rouge lui monter au jou. C’était vrai.

 Incapable de résister plus longtemps, elle était allée voir Thomas dans la petite case qu’il partageait avec trois autres hommes. Il n’avait pas parlé longtemps conscient du danger, mais elle avait eu besoin de le voir, de lui faire comprendre par quelques mots chuchotés qu’elle portait son enfant. Et alors ? Répondit Célestine avec défis. Il a le droit de savoir. Le droit, explosa Marguerite. Il n’a aucun droit. C’est un esclave.

 Et tu mets en danger tout ce que nous avons essayé de protéger en allant le voir. Tu es jalouse, réalisa soudainement Célestine. Tu es jalouse parce que tu penses qu’il me préfère. Le visage de Marguerite se durcit dangereusement. Tu te trompes. Je me moque de ses préférences.

 Ce qui m’importe, c’est que ta sentimentalité stupide pourrait nous détruire toutes les deux. Ma sentimentalité. Au moins, je reconnais qu’il est plus qu’un simple objet. Au moins je quoi ? Tu l’aimes ? Le rire de Marguerite était cruel. Tu es pathétique, Célestine. Tu t’es construite une romance dans ta tête mais la réalité est qu’il nous a utilisé toutes les deux.

 Il savait exactement ce qu’il faisait, jouant sur nos désirs pour améliorer sa position. Ce n’est pas vrai. Vraiment ? Alors, pourquoi n’a-t-il jamais essayé de s’échapper ? Pourquoi n’a-t-il jamais refusé nos invitations ? Parce qu’il est intelligent, Célestine. Il a vu une opportunité et l’a saisi. Les mots de Marguerite plantèrent une graine de doute dans l’esprit de Célestine.

 Et si sa sœur avait raison ? Et si tout ce qu’elle avait interprété comme de l’affection de la part de Thomas n’était qu’une stratégie de survie. Cette pensée était presque plus douloureuse que l’idée de le perdre. Le lendemain, ce fut Marguerite qui se rendit au quartier des esclaves. Elle trouva Thomas réparant un outil agricole devant sa case.

 Les autres esclaves s’éloignèrent discrètement à son approche. “Thomas, nous devons parler.” Il se leva, gardant une distance respectueuse. “Mademoiselle Marguerite, ma sœur est venue te voir hier. Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?” Thomas hésit. “Ellle m’a parlé de sa condition. Et tu as été touché, je suppose, ému par la révélation. Le ton de Marguerite était acide.

Laisse-moi te dire quelque chose, Thomas. Moi aussi je porte ton enfant. Alors, avant que tu ne commences te prendre pour quelque chose que tu n’es pas, rappelle-toi que tu as mis eninte deux femmes qui te possèdent et cette situation ne se terminera bien pour personne si tu continues à jouer avec les émotions de ma sœur. Thomas la regarda directement dans les yeux.

Un geste d’audace rare pour un esclave. Je n’ai jamais voulu cela, mademoiselle. Aucun de vous deux ne m’a demandé mon avis. La gifle partit avant que Marguerite ne puisse se contrôler. Le bruit sec raisonna dans la cour, attirant les regards curieux des autres esclaves. Comment oses-tu ? Tu n’as pas d’avis à avoir. Tu es ma propriété.

 Thomas porta la main à sa joue rougie, mais ne baissa pas les yeux. Oui, mademoiselle, je suis votre propriété comme ces outils, comme cette case, comme tout ce qui m’entoure. Mais les enfants que vous portez, vous et votre sœur, ils seront aussi les miens. Qu’il vous plaisent ou non. Marguerite sentit une rage impuissante montée en elle parce que Thomas avait raison.

 Peu importe combien elle voulait nier sa paternité, peu importe combien elle voulait effacer son existence de cette histoire, les enfants qu’elle portaiit seraient toujours à moitié lui. Elle retourna à la grande maison, son esprit tourbillonnant de pensées contradictoire. En passant devant le bureau, elle aperçut Beaumont examinant les registres de la plantation.

 Une idée germa dans son esprit. une solution radicale qu’elle n’aurait jamais envisagé quelques mois auparavant. Ce soir-là, alors que Célestine dormait, Marguerite convoqua Baumont dans le salon. “Monsieur Baumont, je veux que vous vendiez Thomas.” Le régisseur la regarda avec surprise. “Thomas ! Mais il est l’un de nos meilleurs travailleurs et votre père l’avait personnellement formé.

 Je me moque de ce que mon père a fait. Je veux qu’il soit vendu discrètement à un planteur de Sainte-Lucci ou de la Dominique, quelqu’un qui ne pose pas de questions. Beauaumont hésita. Il avait remarqué les changements étranges dans la grande maison ces derniers mois, les allées et venues nocturnes, l’isolement soudain des jumelles, le renvoi brutal de Thomas auchamp.

 Il n’était pas stupide et dans les colonies, les scandales suivaient souvent des schémas prévisibles. Ce sera fait, mademoiselle. Il y a une vente d’esclave à Fort de France la semaine prochaine. Je peux arranger discrètement sa vente à un marchand qui l’expédiera hors de la Martinique. Parfait. Et Beauaumont, ma sœur ne doit rien savoir avant que ce soit fait.

 Le régisseur hoa la tête et se retira. Marguerite resta assise dans le salon obscur, se demandant si elle venait de sauver leur réputation ou de commettre une trahison dont elle ne se remettrait jamais. 3 jours plus tard, Célestine se réveilla avec un pressentiment étrange. La maison était trop silencieuse, l’air chargé d’une tension inhabituelle.

Elle s’habilla rapidement et descendit, trouvant Marguerite déjà assise dans le salon, son visage pâle et fermé. “Où est Thomas ?” demanda Célestine sans préambule. Marguerite leva les yeux de son ouvrage. “Parti ! “Parti ! Que veux-tu dire ? Je l’ai fait vendre. Il est en route vers Sainte Lucie à l’heure qu’il est.

 Le silence qui suivit était assourdissant. Célestine sentit ses jambes se dérober sous elle et dû s’agripper au dossier d’une chaise pour ne pas tomber. Tu as fait quoi ? C’était nécessaire. Il représentait un danger pour nous, pour notre secret. Tant qu’il restait ici, nous risquions l’exposition. Comment as-tu pu ? Les mots sortaient dans un murmur étouffé.

Comment as-tu pu me trahir ainsi ? Nous avons toujours tout décidé ensemble. Vraiment ? La voix de Marguerite montait parce que je me rappelle que tu as pris la décision d’aller le voir dans les quartiers des esclaves sans me consulter. Tu as mis en danger tout ce que nous avons essayé de protéger. Je l’aimais ! Cria Célestine, les larmes coulant maintenant librement sur ses joues.

 Tu aimais l’idée de lui, tu aimais la transgression, l’interdit, mais tu n’aurais jamais pu vivre véritablement avec lui. Il était et restera toujours un esclave. Il était le père de mon enfant et du mien”, hurla Marguerite en retour.

 “Crois-tu que cela ne signifie rien pour moi ? Crois-tu que cette décision a été facile ?” Les deux sœurs se faisaient face. Maintenant, des années de complicité explosant en accusation et en reproche, pour la première fois de leur vie, le lien Gémèire qui les avait toujours unis semblait sur le point de se briser définitivement. “Je ne te pardonnerai jamais”, dit finalement Célestine d’une voix glaciale. “Alors, nous ne nous pardonnerons jamais”, répondit Marguerite. “Parque je ne regrette rien.

Les mois qui suivirent furent les plus difficiles de leur vie. Les deux sœurs vivaient dans la même maison mais comme des étrangères. Elle communiquait par notes écrites, mangeait séparément, évitait toute interaction qui n’était pas strictement nécessaire. Marie-ose naviguait entre les deux camps, essayant de maintenir une apparence de normalité dans la grande maison devenue champ de bataille silencieux. En février, les grossesses devinrent impossibles à cacher. Les robes les plus amples ne pouvaient plus

dissimuler les ventres proéminents. Baumont fut informé qu’il devrait gérer seul la plantation pendant plusieurs mois, les maîtresses étant trop malades pour recevoir des visiteurs. Marie-ose prit les choses en main avec une efficacité discrète. Elle fit venir une sage femme créole de confiance, une femme âgée nommée maman Joséphine qui avait aidé à mettre au monde la moitié des enfants de la colonie, légitime ou non.

 Deux sœurs enceintes en même temps observa maman Joséphine en examinant les jumelles. C’est inhabituel mais pas impossible. Les jumeaux ont des cycles synchronisés parfois. Elle ne posa pas de questions sur l’identité du père ou des pères et sa discrétion professionnelle était légendaire. Dans les colonies, les secrets étaient une monnaie précieuse et elle en avait accumulé suffisamment pour assurer sa sécurité et celle de sa famille.

Mars arriva avec ses premières pluies. Un soir, Célestine ressentit les premières contractions. Marie-ose courut chercher maman Joséphine tandis que Marguerite, malgré leur froideur, restait près de sa sœur. Certains liens, même brisés, ne pouvaient être complètement rompus. L’accouchement fut long et difficile.

Célestine mit au monde un garçon à l’aube, un bébé au teint caramel qui criait avec une vigueur prometteuse. En regardant ce petit être, Célestine sentit son cœur se briser et se remplir simultanément. C’était l’enfant de Thomas, la preuve vivante de leur brève histoire. “Il est beau”, murmura Marguerite depuis le seuil de la chambre. “Il lui ressemble.

 Tro semaines plus tard, ce fut le tour de Marguerite. Son accouchement fut plus rapide mais tout aussi douloureux. Elle donna naissance à une fille, elle aussi au teint ambré, aux yeux sombres, qui semblaient déjà observer le monde avec une intelligence précoce.

 Les deux sœurs se retrouvèrent dans une situation surréaliste, chacune tenant son enfant, ses bébés qui étaient frères et sœurs, mais aussi cousins, fruit d’une histoire qu’elle ne pourrait jamais raconter. Nous ne pouvons pas les garder finalement Marguerite. Tu le sais. Célestine serra son fils contre elle. Je sais. Marie- Rose avait déjà fait les arrangements.

 Un couple créole sans enfants prendrait le garçon prétendant qu’il était le fils d’une parente décédé en couche. La fille irait dans un couvent tenue par des religieuses qui ne posaient pas de question où elle serait élevée et éduquée. La séparation fut déchirante. Célestine passa ses derniers moments avec son fils à mémoriser chaque détail de son visage, sachant qu’elle ne le reverrait probablement jamais.

 Marguerite, plus pragmatique en apparence, teint sa fille avec une raideur qui trahissait son combat intérieur pour ne pas s’attacher. Après le départ des enfants, la grande maison de Belleevue sembla encore plus vide. Les deux sœurs évoluaient comme des fantômes dans les pièces spacieuses, chacune portant le poids de ses choix et de ses regrets.

 Un matin, 3 mois après les naissances, une lettre arriva de Sainte Lucie. Elle était adressée à Médemoiselle de Valmont et écrite d’une main soignée que Célestine reconnut immédiatement. Thomas avait trouvé un moyen de leur écrire. La lettre était brève. Mesdemoiselles, j’ai appris par des voyageurs que vous avez eu des enfants. Je ne sais pas si ce sont les miens, mais je choisis de croire qu’ils le sont.

 Je veux que vous sachiez que je ne vous en veux pas pour vos décisions. Dans ce monde qui est le nôtre, nous faisons tous ce que nous devons pour survivre. Je travaille maintenant dans une plantation de café. Mon nouveau maître est dur mais juste. Je pense souvent à nos nuits de lecture partagée, aux conversations que nous avons eu. C’était des seuls moments de ma vie où je me suis senti presque libre.

 Si les enfants sont les miens, j’espère qu’ils auront une vie meilleure que celle que j’ai connu et j’espère que vous aussi vous trouverez la paix. Thomas Célestine et Marguerite lurent la lettre ensemble. la première chose qu’elle partageait vraiment depuis des mois.

 Quand elles eurent finies, elles se regardèrent et dans ce regard, tout le poids de ce qu’elles avaient vécu passa entre elles. “Je suis désolé”, murmura finalement Marguerite. Pourt, Célestine prit la main de sa sœur, un geste qu’elle n’avait pas échangé depuis longtemps. Moi aussi. Elles restèrent ainsi côte à côte dans le salon de leur père.

 Deux femmes qui avaient partagé plus que ce que quiconque ne pourrait jamais comprendre. Leur secret resterait enfoui, protégé par les conventions sociales qu’elles n’avaient jamais eu la force de défier complètement. Des années plus tard, Belleevue continuerait à prospérer sous leur gestion.

 Les jumelles ne se marieraient jamais, vivant ensemble dans la grande maison comme deux vieilles filles excentriques que les gens de la colonie apprendrait à respecter sinon à comprendre. Mais parfois dans la solitude de la nuit, chacune pensait à l’enfant qu’elle avait porté et abandonné.

 Et elle se demandait si quelque part dans les méandres compliqués de cette société coloniale, leurs fils et filles grandissaiit, portant en eux l’héritage secret d’une histoire qui ne serait jamais racontée.