L’annonce est tombée tel un coup de tonnerre dans le ciel du cinéma mondial. Le vendredi 31 octobre 2025, Tchéky Karyo, l’un des acteurs français les plus respectés et à la carrière la plus singulière, s’est éteint à l’âge de 72 ans. Une figure tutélaire du septième art, dont le visage buriné, le regard perçant et la voix éraillée ont marqué l’inconscient collectif à travers plus de 80 films et séries, en France comme à l’étranger. De La Balance à The Missing, en passant par l’incontournable Nikita, son œuvre est un héritage d’intensité et d’humanité. Mais au-delà de l’onde de choc professionnelle, c’est l’hommage vibrant et profondément personnel de sa co-star d’anthologie, Anne Parillaud, qui vient de saisir le public d’une vague d’émotion inattendue.

 

L’onde de choc et l’hommage intime de l’âme sœur cinématographique

 

La nouvelle de la disparition de Tchéky Karyo, né Baruh Djaki Karyo à Istanbul en 1953, est une perte incommensurable. L’acteur, qui s’est illustré dans des rôles complexes et souvent en marge – des figures silencieuses et cabossées mais toujours dignes – était bien plus qu’un interprète. Il était un poète-musicien, un comédien habité qui restait fidèle à lui-même.

Pourtant, c’est la réaction d’Anne Parillaud, sa partenaire dans le film culte Nikita de Luc Besson (1990), qui donne toute sa résonance émotionnelle à cet événement tragique. Dans son témoignage, l’actrice livre un portrait d’une sincérité désarmante, décrivant Tchéky Karyo non pas comme une star, mais comme une force de la nature et un ami cher.

« Il était un véritable artiste, passionné, spirituel et d’une curiosité sans fin », a-t-elle confié, se souvenant d’un homme d’une « grande profondeur et d’une honnêteté » absolue. Ce sont ces mots qui traversent l’écran, brossant le tableau d’une personnalité magnétique capable de « dominer une pièce juste par sa présence ».

Anne Parillaud révèle qu'elle a voulu arrêter sa carrière au cinéma après  Nikita

La magie de Nikita : « Le calme et la grâce à chaque scène »

 

La relation professionnelle et humaine entre Anne Parillaud et Tchéky Karyo est indissociable du succès monumental de Nikita, le thriller d’action qui a propulsé leurs carrières sur la scène internationale. Dans ce film, Anne Parillaud incarnait l’assassin troublé et torturé, Nikita, un rôle qui lui valut le César de la Meilleure Actrice. Tchéky Karyo, quant à lui, était Bob, l’énigmatique agent gouvernemental chargé de la former et de la gérer.

C’est dans ce contexte de tension et d’apprentissage que s’est tissée leur alchimie. Anne Parillaud révèle une facette vulnérable de cette époque : « J’étais encore jeune et peu sûre de moi, et il a apporté du calme et de la grâce à chaque scène ». Cette confidence souligne l’impact de Tchéky Karyo, non seulement comme acteur de talent, mais comme un véritable pilier émotionnel et professionnel. Son intensité tranquille, que l’actrice décrit comme s’il avait « vécu de nombreuses vies avant celle-ci », a servi d’ancre à la performance brute et nerveuse de Parillaud.

L’hommage de l’actrice insiste sur ce qui faisait l’essence même de son partenaire : son détachement vis-à-vis des paillettes hollywoodiennes. « La gloire, il s’en fichait », affirme-t-elle sans équivoque. Ce qui comptait pour lui, c’était « l’honnêteté dans son travail, dans les gens, dans la vie ». Cette éthique artistique, cette quête constante de justesse plutôt que de popularité, est la clé de la longévité et du respect dont il jouissait dans la profession. C’est ce qui rendait son regard si profond et sa présence si unique.

 

Une carrière hors-norme, de l’intimité du théâtre à la superproduction hollywoodienne

 

La filmographie de Tchéky Karyo est un voyage sans passeport à travers les genres et les continents, attestant de son statut d’acteur polyvalent et bilingue. Avant d’atteindre la reconnaissance mondiale, il a fait ses preuves sur les planches et dans le cinéma d’auteur français. Dès les années 1980, il s’illustre dans des films marquants comme La Balance (1982) de Bob Swaim et Les Nuits de la pleine lune (1984) d’Éric Rohmer.

Mais c’est bien son rôle de Tom, le chasseur d’ours dans le chef-d’œuvre de Jean-Jacques Annaud, L’Ours (1988), qui le révèle au grand public, son intensité et son face-à-face silencieux avec l’animal devenant une scène culte.

Sa participation à Nikita lui ouvre ensuite les portes d’une carrière internationale rare pour un acteur français de sa génération. Il devient l’un de ces « French bad guys » crédibles et sophistiqués, capable de naviguer entre l’art et l’action. Sa présence se fait sentir dans des superproductions américaines aux côtés de stars mondiales :

Le rôle de Fouchet dans Bad Boys (1995) de Michael Bay, un personnage de trafiquant sans scrupules face à Will Smith et Martin Lawrence.
Son apparition dans la saga James Bond GoldenEye (1995), dans la peau du ministre russe de la Défense.
Le rôle de Jean Villeneuve dans The Patriot : Le chemin de la liberté (2000), aux côtés de Mel Gibson.
Sa collaboration avec Ridley Scott dans 1492 : Christophe Colomb (1992).

Cette dualité entre le cinéma d’auteur européen et les blockbusters hollywoodiens est la preuve de son talent caméléon. Cependant, il n’a jamais délaissé ses racines artistiques, allant jusqu’à embrasser la musique avec plusieurs albums et l’écriture poétique. Il aimait à dire que son enfance complexe l’avait rendu plus réceptif aux failles humaines, une sensibilité qu’il transmettait à ses personnages, souvent des hommes à la vie cabossée mais à l’âme digne.

 

Le triomphe télévisuel de Julien Baptiste

 

Plus récemment, Tchéky Karyo avait conquis un nouveau public, notamment anglophone, avec son rôle emblématique du détective Julien Baptiste dans la série policière britannique The Missing (2014-2016) et son spin-off acclamé, Baptiste.

Dans ces séries, il incarnait l’archétype de l’enquêteur brillant et tenace, dont la mélancolie et la profondeur philosophique rendaient chaque apparition captivante. Ce rôle, salué par la critique, a cimenté son statut d’acteur de caractère européen de premier plan, capable d’apporter une gravité et une humanité rares aux rôles de procédure policière. Il s’était également illustré en France dans des séries historiques comme Les Rois maudits ou Les Combattantes.

La multiplicité de ses rôles, du général Duvernet dans Les Combattantes au comte de Toulouse dans Le Père Goriot, témoigne de sa capacité à se fondre dans n’importe quelle époque ou contexte, toujours avec cette même signature : une intensité magnétique.

Décès de Tchéky Karyo, connu pour ses rôles dans « L'Ours » et « Nikita » |  Les Echos

L’héritage d’un poète discret

 

Le parcours de Tchéky Karyo est celui d’un homme qui a mis l’honnêteté et l’exigence au centre de son art. Anne Parillaud résume cette philosophie de vie avec une beauté et une simplicité poignantes : « Il avait l’âme d’un poète, et une force tranquille. Il pouvait remplir une pièce sans dire un mot. Quand il parlait, on écoutait. Il donnait tout à son art, à ses amis, à la vie. C’est cela, Tchéky ».

Ces mots résonnent comme une épitaphe, rendant hommage à l’homme derrière le mythe. Son décès marque la fin d’une ère pour un certain cinéma français, celui des “gueules” et des acteurs qui n’ont pas peur de l’ombre pour mieux faire ressortir la lumière. Il laisse derrière lui une œuvre dense et inoubliable.

La conclusion de l’hommage d’Anne Parillaud, un simple mais déchirant « Tu vas me manquer », exprime la peine de tous ceux qui ont été touchés par l’artiste et l’homme. La France et le monde pleurent aujourd’hui un acteur libre, un homme de cœur, dont l’héritage d’intensité et de poésie continuera de briller sur les écrans pour les générations à venir. Adieu à Bob, adieu à Tom, adieu à Julien Baptiste, adieu à l’artiste Tchéky Karyo.