Affaire Marion Wagon : Michel Fourniret, autopsie d’une piste trop vite écartée

L’implication de Michel Fourniret dans l’affaire Estelle Mouzin pousse la justice à se replonger enfin dans l’enquête sur la disparition de Marion Wagon, fillette de 10 ans, comme évaporée en novembre 1996 à Agen. L’hypothèse du tueur en série, très tôt évoquée, n’a jamais vraiment été creusée.

Marion Wagon, 10 ans, est portée disparue depuis le 14 novembre 1996 à Agen, alors qu'elle avait quitté son école pour rentrer déjeuner à son domicile. AFP

C’est l’histoire d’une piste brouillée pendant près de 20 ans par les négligences et les croyances erronées. Marion Wagon – Michel Fourniret : un fil entre une fillette disparue au visage angélique et un tueur machiavélique que la justice semble enfin décidée à tisser. Comme révélé ce jeudi par Le Parisien – Aujourd’hui en France, une trentaine d’ADN inconnus issus du fourgon de Fourniret et d’un matelas lui ayant appartenu sont en cours de comparaison avec une vingtaine de cold cases. L’affaire Marion Wagon, enfant rieuse de 10 ans, disparue le 14 novembre 1996 à la sortie de son école d’Agen (Lot-et-Garonne), figure tout en haut de la pile.

C’est une image que personne n’a oubliée. Le visage d’une enfant de 10 ans, au sourire timide, imprimé sur des millions de briques de lait à travers la France. Marion Wagon. Ce nom, associé à cette photo, est devenu le symbole national d’une angoisse absolue : la disparition d’enfant. C’était le 14 novembre 1996, à Agen. Entre l’école et la maison, un trajet de 400 mètres. Marion s’est volatilisée.

Vingt-huit ans plus tard, la plaie est toujours béante. Mais à la douleur du deuil impossible s’ajoute le poison du doute. Et si la clé avait été là, à portée de main ? Et si l’un des pires monstres de l’histoire criminelle française avait été un suspect crédible, mais que la justice, par négligence ou par manque de moyens, avait regardé ailleurs ?

Aujourd’hui, l’affaire Marion Wagon n’est plus seulement l’histoire d’une disparition ; c’est aussi l’autopsie d’une enquête hantée par un nom : Michel Fourniret.

Le prédateur était en chasse

Pour comprendre ce qui ressemble à un rendez-vous manqué avec la vérité, il faut revenir au contexte de 1996. Michel Fourniret, “l’Ogre des Ardennes”, est alors en pleine “activité”. Sorti de prison en 1987, il a déjà tué plusieurs fois, avec la complicité active de sa femme, Monique Olivier. Il est mobile, méthodique, et sa cible est tristement claire : les jeunes filles, vierges de préférence.

Fourniret n’est pas encore le nom qui fait trembler la France. Il n’est pas encore le tueur en série identifié. Il n’est qu’un délinquant sexuel récidiviste, un fantôme qui se déplace dans sa camionnette blanche, invisible aux yeux d’une justice qui ne connecte pas encore les points.

Lorsque Marion disparaît, Fourniret est en liberté. Il chasse. L’enlèvement d’une fillette de 10 ans, seule sur le chemin du retour de l’école, correspond parfaitement à son modus operandi. C’est une évidence. Une évidence qui, pourtant, ne sautera pas aux yeux des enquêteurs.

Pourquoi cette piste, qui semble aujourd’hui si lumineuse, est-elle restée dans l’ombre pendant si longtemps ? C’est là que commence le véritable drame judiciaire.

L’autopsie d’une piste écartée

L’enquête sur la disparition de Marion Wagon a été massive. Des centaines de gendarmes mobilisés, des milliers de témoignages, des fouilles, des appels à témoins. La France entière cherche Marion. Mais dans ce déferlement d’informations, la machine judiciaire de l’époque montre ses limites.

1. L’absence de centralisation En 1996, nous sommes à l’aube de l’ère numérique. Les fichiers ne sont pas centralisés comme aujourd’hui. L’ADN n’est pas l’outil-roi. Les enquêteurs d’Agen, concentrés sur leur territoire, n’ont pas le réflexe, ni peut-être les moyens, de faire le lien avec un prédateur basé à des centaines de kilomètres de là, dans les Ardennes. Fourniret est connu des services, mais son dossier sommeille. On cherche un rôdeur local, un drame familial, mais pas un tueur en série itinérant.

2. Le profil de Fourniret À l’époque, le nom de Fourniret n’est pas sur la liste des suspects prioritaires. Il n’avouera ses crimes qu’après son arrestation en Belgique en 2003, sept ans après la disparition de Marion. Avant 2003, il n’est “que” l’auteur d’agressions sexuelles passées. La piste semble froide, lointaine. D’autres suspects, plus proches géographiquement ou socialement (comme le suspect un temps incarcéré puis relâché, Richard L.), monopolisent l’attention.

3. Le déni et le silence Même si la question lui avait été posée à l’époque, Fourniret aurait nié. Sans les aveux circonstanciés de Monique Olivier, bien plus tard, il était impossible de percer sa carapace. Et Monique Olivier se taisait. L’Ogre chassait, sa complice protégeait le secret. La piste Fourniret, si elle a été évoquée, n’était qu’une hypothèse parmi des milliers, sans corps, sans scène de crime, sans témoin. Elle a été, selon toute vraisemblance, classée “non concluante”. Trop vite. Beaucoup trop vite.

Marion Wagon, l'énigme de la petite disparue d'Agen : l'impossible deuil  des enfants perdus - Le Parisien

Le réveil brutal

Tout bascule en 2003, avec l’arrestation de Fourniret. Puis en 2004 et 2005, avec les aveux de Monique Olivier. La France découvre l’ampleur de l’horreur. Et soudain, les “cold cases” non résolus des années 90 prennent une autre couleur.

Pour les parents de Marion, c’est un séisme. L’espoir, déjà infime, se transforme en une nouvelle forme de torture. L’enquête est relancée. Le nom de Fourniret est enfin officiellement ajouté au dossier.

La crédibilité de la piste repose sur plusieurs piliers :

Le mode opératoire : Enlèvement d’une fillette seule.
La chronologie : Fourniret était libre et actif.
Les “trous” dans son emploi du temps : L’Ogre était un voyageur. Ses déplacements sont difficiles à tracer. Lui et Monique Olivier ont souvent séjourné dans des campings ou chez des parents, leur offrant une mobilité redoutable.
Les déclarations troubles : Au fil des années, Monique Olivier a parfois lâché des phrases sibyllines. Si elle n’a jamais formellement avoué une implication du couple dans l’affaire Wagon, ses silences ou ses “je ne sais plus” ont souvent été interprétés comme des non-dits terribles.

L’enquête sur Fourniret dans le dossier Wagon a été menée. Il a été interrogé. Il a nié. Mais ses dénégations n’avaient aucune valeur. L’homme jouait avec les enquêteurs, comme il l’a fait dans le dossier Estelle Mouzin, niant jusqu’au bout avant de finalement avouer.

Le “Et si…” : La faute impardonnable

Aujourd’hui, Michel Fourniret est mort, emportant avec lui ses secrets, dont peut-être celui du sort de Marion. Monique Olivier, condamnée à la perpétuité, reste la seule détentrice d’une vérité partielle. Mais l’autopsie de cette piste ne concerne plus seulement la culpabilité du couple. Elle concerne la responsabilité du système.

C’est le “Et si…” qui hante ce dossier.

Et si, en 1996, la justice avait eu les outils pour connecter les points ? Si les enquêteurs d’Agen avaient eu accès au profil complet de Fourniret et l’avaient considéré comme une priorité ?

Le véritable drame de cette piste écartée n’est pas seulement qu’elle aurait pu résoudre l’affaire Marion Wagon. C’est qu’elle aurait pu empêcher la suite.

Entre la disparition de Marion en 1996 et l’arrestation de Fourniret en 2003, il y a sept ans. Sept années durant lesquelles l’Ogre a continué de tuer. Il a enlevé et tué Céline Saison (18 ans) en 2000. Mananya Thumpong (13 ans) en 2001. Et potentiellement Estelle Mouzin (9 ans) en 2003.

Si la piste Fourniret avait été sérieusement creusée à Agen, si les enquêteurs avaient mis une pression suffisante sur lui et sur Monique Olivier à ce moment-là, l’auraient-ils fait tomber ? Aurait-on pu sauver Céline, Mananya, Estelle ?

C’est cette question qui transforme une erreur d’enquête en un possible fiasco aux conséquences incalculables.

Marion Wagon, disparue à Agen : le récit d'une enquête complexe entachée  d'errements judiciaires - Le Parisien

L’héritage d’un échec

La famille de Marion Wagon, d’une dignité bouleversante, a dû vivre avec cette possibilité. Ils ont dû regarder les aveux de Fourniret pour d’autres crimes, en se demandant toujours : “Et Marion ?”.

Le système judiciaire a tiré des leçons de ces échecs. La création de l’OCRVP (Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes), les fichiers centralisés, les progrès de l’ADN et, plus récemment, le pôle “cold cases” de Nanterre, sont les enfants de ces drames. Ils sont nés du sang de Marion, d’Estelle, et de tant d’autres.

L’autopsie de la piste Fourniret dans l’affaire Wagon est douloureuse. Elle révèle une époque d’impuissance, peut-être de négligence, face à un mal d’une nature nouvelle : le prédateur en série, mobile et organisé. Marion n’a pas seulement été victime de son ravisseur. Elle a aussi été, indirectement, victime d’un système qui n’était pas prêt à le chasser.

La vérité complète ne viendra peut-être jamais. Mais l’analyse de cet échec doit continuer. Pour Marion, dont le visage sur les briques de lait nous rappelle ce que nous avons perdu. Et pour toutes les autres, que nous aurions peut-être pu sauver.