C’est une décision qui avait fait l’effet d’une petite bombe dans le paysage médiatique français, un choix perçu par beaucoup comme un désaveu pour la titulaire du poste le plus prestigieux de l’information. Pour le grand débat présidentiel, ce rendez-vous démocratique crucial, France 2 avait choisi de ne pas confier les rênes à sa présentatrice vedette du 20 heures, Anne-Sophie Lapix, lui préférant le duo formé par Léa Salamé et Gilles Bouleau. Depuis, les spéculations allaient bon train. Jugée trop incisive ? Victime de jeux politiques ? Mise sur la touche ? Murée dans un silence professionnel, Anne-Sophie Lapix n’avait jamais réellement commenté cet épisode. Aujourd’hui, elle sort de sa réserve et livre un avis sincère, une réponse cash dont la subtilité n’échappera à personne.

Interrogée récemment sur cette mise à l’écart qui avait tant fait jaser, la journaliste a offert une réponse en deux temps, mesurée mais terriblement efficace. « Ce que je peux dire, c’est que je comprends la logique de ne pas mettre la même personne au 20 heures et au débat », a-t-elle d’abord concédé. Une phrase qui, en surface, sonne comme une marque de fair-play, une reconnaissance de la stratégie de la chaîne. Elle valide la décision sur un plan organisationnel, évitant ainsi la confrontation directe. C’est la posture d’une femme d’équipe, loyale à son employeur, qui comprend les impératifs de programmation et la volonté de proposer des visages différents pour des formats différents.

Pourtant, c’est dans la seconde partie de sa déclaration que se niche toute l’intelligence et peut-être même une pointe d’ironie. Car après avoir “compris” la logique de la chaîne, elle ajoute : « Ça ne m’a pas semblé illogique. » En utilisant cette double négation, elle refuse d’offrir une validation pleine et entière. Dire que ce n’est “pas illogique” est loin d’être un cri d’enthousiasme. C’est une manière subtile de signifier qu’elle a acté la décision, sans pour autant la cautionner avec ferveur. C’est dans cet interstice, entre l’acceptation et l’approbation, que l’on retrouve toute la finesse d’une communicante aguerrie, qui sait peser chaque mot.

Pour bien saisir la portée de cette déclaration, il faut se souvenir du contexte. Anne-Sophie Lapix, depuis son arrivée au 20 heures de France 2, a imposé un style. Un style direct, pugnace, refusant de laisser les politiques se dérober. Ses interviews sont souvent musclées, ses questions précises, son attitude implacable. Une méthode qui lui a valu des critiques, notamment de la part de certains camps politiques qui la jugeaient trop agressive, voire partiale. Des rumeurs persistantes laissaient entendre que plusieurs candidats à la présidence avaient explicitement refusé de débattre face à elle, craignant son style offensif.

Le choix de Léa Salamé, elle aussi intervieweuse de talent mais peut-être perçue comme plus “ronde” dans son approche du débat au long cours, avait donc été interprété comme une volonté de la chaîne de calmer le jeu, de s’assurer de la présence de tous les candidats en offrant une animation moins redoutée. En ce sens, la mise à l’écart d’Anne-Sophie Lapix était moins une sanction de ses compétences qu’une conséquence directe de sa plus grande qualité : sa ténacité de journaliste qui ne lâche rien.

Sa réponse aujourd’hui peut donc être lue comme un message à double sens. D’un côté, elle se montre professionnelle et loyale envers France Télévisions. De l’autre, elle laisse planer le doute sur son adhésion profonde à une décision qui a pu être perçue comme une forme de censure ou, du moins, une concession faite aux pressions politiques. Elle ne crée pas de polémique, mais elle ne se renie pas non plus. Elle reste fidèle à son image : celle d’une femme de caractère qui ne se laisse pas dicter sa conduite, ni par les politiques, ni par les non-dits de sa propre maison.

Cette situation met en lumière la rivalité, souvent fantasmée mais parfois réelle, entre les grandes figures de l’information. Anne-Sophie Lapix et Léa Salamé représentent deux facettes de l’excellence journalistique à la française. Deux femmes de pouvoir, intelligentes et ambitieuses, qui occupent le sommet de la pyramide. Si leur relation est décrite comme cordiale en public, il est évident qu’une compétition saine existe entre elles. L’épisode du débat a inévitablement été perçu comme un point marqué par Léa Salamé. La réponse d’Anne-Sophie Lapix, toute en maîtrise, montre qu’elle a accusé le coup, mais que le match est loin d’être terminé.

En affirmant comprendre la décision sans pour autant la qualifier de “logique”, elle retourne la situation à son avantage. Elle se positionne comme une observatrice lucide des rouages du système, tout en laissant entendre que son absence au débat était peut-être le prix à payer pour son intransigeance journalistique. Un prix qu’elle semble prête à assumer, car il est la preuve de son indépendance et de sa rigueur. Finalement, cette réponse est peut-être la plus belle affirmation de son identité professionnelle : une journaliste qui préfère être crainte pour ses questions plutôt qu’appréciée pour sa complaisance.