Dans le panthéon de la musique francophone, certaines alliances relèvent de la magie pure, des alignements de planètes si parfaits qu’ils redéfinissent la carrière des artistes impliqués. La collaboration entre Céline Dion et Jean-Jacques Goldman pour l’album D’eux en 1995 est sans conteste l’une de ces rencontres cosmiques. Trente ans plus tard, alors que la chaîne M6 s’apprête à diffuser un documentaire événement le 3 septembre 2025 pour célébrer cet anniversaire, un paradoxe saisissant vient jeter une lumière fascinante et mystérieuse sur le projet : l’homme qui en fut la cheville ouvrière, le compositeur de chaque note et l’auteur de chaque mot, a exigé de rester invisible. Jean-Jacques Goldman, fidèle à sa légende, est le grand absent… et pourtant, il n’a jamais été aussi présent.

Le documentaire, porté par Ophélie Meunier et réalisé par Nicolas Perge, promet une immersion sans précédent dans la genèse de cet album monumental. Avec plus de dix millions d’exemplaires vendus à travers le monde, D’eux n’est pas seulement le disque francophone le plus vendu de tous les temps ; il est le symbole d’une transformation, l’instant où Céline Dion, déjà une star internationale, a conquis une crédibilité et une profondeur artistique inégalées dans sa langue maternelle. Des hymnes comme Pour que tu m’aimes encore, J’irai où tu iras ou la poignante Prière païenne sont gravés dans l’inconscient collectif, des chansons-monuments qui semblent avoir toujours existé.

Au cœur de cette réussite se trouve un homme : Jean-Jacques Goldman. En 1995, il n’a pas simplement offert quelques chansons à la diva québécoise. Il a conçu pour elle un écrin sur mesure, un projet total dont il a été l’unique maître d’œuvre. C’est cette alchimie unique que le documentaire entend explorer. Les extraits diffusés en amont par la chaîne donnent le ton. On y entend une Céline Dion submergée par l’émotion en se remémorant cette période. « Moi, René, Jean-Jacques Goldman et son équipe, les chansons proposées, c’était… J’avais aucune attente… J’étais tellement heureuse », confie-t-elle, la voix empreinte de nostalgie. Au-delà du succès professionnel, c’est une connexion humaine qui s’est nouée. « J’avais découvert des chansons extraordinaires et en plus un ami. J’avais découvert un ami », ajoute-t-elle, résumant en quelques mots la nature profonde de leur relation.

Pourtant, lorsque les caméras se sont allumées pour raconter cette histoire, Goldman a posé son veto. Pas d’interview, pas d’apparition, pas de témoignage face objectif. Un retrait total, qui pourrait paraître comme une offense ou un désaveu pour un événement d’une telle importance. Mais ce serait mal connaître le personnage. Depuis son retrait officiel de la scène médiatique au début des années 2000, l’auteur-compositeur-interprète préféré des Français a érigé la discrétion en un art de vivre. Il ne s’agit pas d’une posture, mais d’un choix de vie radical et profondément respecté. Il a donné sa musique au public, mais sa personne lui appartient.

C’est ici que le paradoxe devient captivant. Car si son visage est absent de l’écran, son esprit, sa voix et son influence imprègnent chaque seconde du film. Le réalisateur, Nicolas Perge, le confirme : Goldman a été le partenaire silencieux mais essentiel de toute la production. « Nous avons eu accès, grâce à Jean-Jacques Goldman qui a été présent tout le long du projet même s’il n’a pas souhaité apparaître dans le film, aux maquettes d’origine où Céline Dion chante a cappella pour la première fois les titres qu’elle découvre. »

Cette révélation est une promesse incroyable pour les admirateurs. Entendre la voix pure de Céline, sans artifice, découvrant pour la première fois les mélodies qui allaient changer son destin, est un document historique d’une valeur inestimable. Mais le trésor ne s’arrête pas là. Goldman a ouvert ses archives personnelles, offrant sur un plateau des photos inédites, des rushs de sessions en studio jamais diffusés, et des archives d’émissions canadiennes de 1995 qui capturent l’effervescence de l’époque. En d’autres termes, Jean-Jacques Goldman n’a pas simplement autorisé le documentaire ; il l’a nourri, enrichi, et lui a donné sa substance la plus précieuse. Il est l’architecte invisible, le metteur en scène qui refuse de monter sur les planches, préférant laisser son œuvre parler pour lui.

Un extrait particulièrement savoureux, déjà dévoilé, illustre parfaitement la dynamique de leur duo. On y voit Goldman et Dion visionner ensemble le clip de la chanson Je ne sais pas. Loin de la complaisance, Goldman livre une analyse cash, teintée d’un humour décapant : « Ça a un côté un peu Série B, film érotique italien… ». Il poursuit, décortiquant plan par plan les maladresses visuelles avec une franchise désarmante. Face à lui, Céline Dion, loin d’être vexée, éclate de rire : « Non mais tu es sérieux comme ça ? ». Cette courte séquence en dit long sur leur complicité : une relation basée sur une confiance absolue, où l’honnêteté, même brutale, est un gage d’affection et de respect mutuel. C’est ce genre de pépites, rendues possibles par l’implication de Goldman, qui font de ce documentaire bien plus qu’un simple hommage.

En choisissant de rester dans l’ombre, Jean-Jacques Goldman ne fait que renforcer son mythe. Il nous rappelle que dans une ère d’omniprésence médiatique et de surexposition, le silence et l’absence peuvent avoir un poids et une éloquence bien plus puissants. Il se positionne non pas comme une star, mais comme un artisan, un passeur d’émotions qui, une fois son travail accompli, s’efface pour laisser la lumière sur l’interprète et les chansons. Ce documentaire est donc un double cadeau : il nous plonge au cœur d’un chef-d’œuvre musical et nous offre, en creux, le portrait le plus fidèle qui soit d’un artiste dont la grandeur se mesure aussi à sa capacité à disparaître. Le 3 septembre, des millions de téléspectateurs verront Céline Dion, mais ils sentiront, dans chaque note et chaque image d’archive, la présence indélébile du fantôme bienveillant de la chanson française.