Hugues Aufray, le chantre des racines retrouvées : sa ferme d’Ardèche transformée pour l’amour des siens

À 94 ans, Hugues Aufray n’a rien perdu de sa lucidité ni de sa voix reconnaissable entre mille. Si le temps semble glisser sur lui sans trop d’insistance, l’artiste emblématique de la chanson française n’ignore pas les questions qui hantent de nombreuses familles : la transmission, l’héritage, les conflits posthumes.


Et contrairement à bien d’autres qui attendent que les choses s’enveniment pour réagir, lui a choisi d’agir dès maintenant. Sa solution ? Une maison de cœur, une ferme en Ardèche transformée en maison d’hôtes, conçue pour durer et préserver l’harmonie familiale.

Une ferme, un symbole, une réponse à l’instabilité de l’enfance

Né en 1929, en pleine crise économique, Hugues Aufray connaît très tôt les affres de l’instabilité. Le divorce de ses parents, les déménagements répétés, les difficultés financières… autant d’épisodes qui ont forgé chez lui une conscience aiguë de la précarité émotionnelle et matérielle.

“Je me suis longtemps senti comme un déraciné”, confie-t-il dans une interview à France Bleu. Cette sensation d’être sans port d’attache l’a poursuivi bien au-delà de l’enfance. Tandis que ses frères quittent la France pour tenter leur chance au Canada, lui reste, trop jeune et sans diplôme, attaché à une terre qu’il n’a pas encore trouvée.

C’est donc en 1966, alors que la célébrité lui permet enfin quelques libertés, qu’Hugues Aufray s’offre une ferme à Orgnac-l’Aven, en Ardèche. Un lieu simple, enraciné dans la nature, loin du tumulte parisien. “J’ai planté mon arbre dans un endroit magique”, dit-il, poétique comme toujours. Cette ferme, plus qu’un bien immobilier, devient pour lui un symbole : celui d’une stabilité enfin acquise, d’un refuge, d’un lieu de transmission. Elle est aujourd’hui habitée par sa fille Marie, et en cours de transformation en maison d’hôtes.


Prévenir l’après, inspiré par les drames des autres

Hugues Aufray n’est pas du genre à fuir les réalités, même les plus sensibles. Il évoque sans détour son inquiétude face à l’héritage, la sienne comme celle de ses contemporains célèbres : “Quand je vois les histoires Johnny et Delon, je ne supporte pas”, dit-il avec cette franchise qui le caractérise.

Pour lui, il est inconcevable de laisser à ses filles, Marie et Charlotte, un héritage source de conflits. Ainsi, il a pris les devants. Il a réglé sa succession, vendu sa maison de Marnes-la-Coquette – celle qu’il partageait autrefois avec son épouse aujourd’hui disparue, voisine de Johnny Hallyday – et a transféré l’intégralité du produit de la vente à ses filles.

Cette anticipation n’est pas uniquement financière, elle est aussi symbolique : transformer sa ferme en maison d’hôtes, c’est laisser un héritage vivant, un projet familial, quelque chose qui relie au lieu de diviser. Une maison habitée, animée, ouverte à d’autres, mais toujours sous le regard bienveillant du patriarche.


Une maison, des racines, et une ouverture au monde

L’Ardèche, ce n’est pas un hasard. Hugues Aufray y trouve un équilibre, une paix intérieure qu’il n’a jamais eue enfant. Mais cette terre ne suffit pas à contenir son amour du monde. Alsace, Bretagne, Pays Basque : il aime ces régions pour leurs caractères forts, leurs paysages, leurs traditions.

Il est aussi tourné vers l’ailleurs, l’infini même. Ami proche de l’astronaute Thomas Pesquet, il lui a dédié une chanson, Au-delà des frontières et des étoiles, et rêve qu’un jour, sur Mars, Pesquet plante un petit cyprès en son nom : “Parce que c’est un arbre qui monte comme une flamme. J’aime beaucoup ça, le cyprès. Ou un olivier.”

Chez lui, la nature n’est pas décorative, elle est essentielle, structurante. Elle raconte les origines, la continuité, les liens invisibles entre les générations. Chaque arbre planté est une forme d’engagement. Chaque pierre posée dans la rénovation de la ferme, un acte de mémoire.

Le retour du sculpteur

Depuis la vente de la maison de Marnes-la-Coquette, Hugues Aufray réside à Marly-le-Roi, à deux pas de Versailles. Ce n’est pas un lieu choisi au hasard. L’ancien chanteur des ports et des chevaux y habite désormais dans une demeure historique : celle du sculpteur Aristide Maillol. Il y a même hérité de l’atelier. Un clin d’œil du destin, quand on sait que, jeune homme, Aufray rêvait d’être sculpteur avant que la musique ne le détourne vers d’autres voies.

“Il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves”, sourit-il. Aujourd’hui, entre deux chansons, il façonne la matière, retrouve le geste lent du modelage, celui qui donne forme à l’invisible. Comme si, après avoir sculpté les mots et les mélodies, il revenait à une forme plus silencieuse de création.

La sagesse d’un homme debout

À 94 ans, Hugues Aufray impressionne. Non par son âge, mais par sa lucidité, sa capacité à se réinventer sans jamais se renier. Là où d’autres se replient ou s’effacent, lui avance encore. Il prend soin des siens, comme il a pris soin de son art. Il anticipe les tempêtes pour que ceux qu’il aime puissent naviguer en paix.

Sa ferme d’Ardèche, rénovée, transformée, habitée, est bien plus qu’un lieu. Elle est un testament vivant. Elle dit tout de l’homme qu’il est devenu : enraciné, généreux, libre. Un homme pour qui l’héritage n’est pas seulement une question de biens, mais une transmission d’esprit, de valeurs et de beauté.

Et dans ce coin reculé d’Ardèche, à l’ombre d’un olivier peut-être, résonnera encore longtemps la voix rocailleuse de celui qui a chanté “Santiano” avec le cœur d’un marin, mais qui a finalement choisi la terre comme port d’attache.