Il y a des animaux télévisuels qui ne se laissent jamais vraiment dompter. Thierry Ardisson est de cette race-là. L’homme en noir, le sniper des interviews, le roi de la provocation cathodique, prépare un retour qui sonne déjà comme une revanche. Écarté du groupe Canal+ en 2019, puis du service public après une collaboration avortée, celui que certains disaient fini, rangé des voitures dans sa somptueuse demeure normande, s’apprête à reconquérir l’antenne, et pas n’importe laquelle : celle de France Télévisions, la maison même qui lui avait montré la porte. À 76 ans, l’empereur des nuits blanches télévisuelles n’a rien perdu de sa verve ni de son ambition dévorante.

La traversée du désert d’un “toxico de la télé”

Pour comprendre la saveur de ce retour, il faut se souvenir de la brutalité de la chute. En 2019, après des années de succès et de polémiques sur C8 avec “Salut les Terriens !”, Thierry Ardisson est remercié par Vincent Bolloré. Un divorce sans ménagement qui laisse un goût amer à l’animateur. Lui, qui a tout inventé ou presque dans le talk-show à la française, se retrouve sans antenne. “La télé, c’est une drogue. Quand on vous l’enlève, vous êtes en manque”, confiait-il, lucide sur sa propre addiction au petit écran.

Commence alors une forme d’exil. Il y a bien eu la parenthèse “Hôtel du Temps” sur France 3, un projet audacieux et technologiquement bluffant où il interviewait des personnalités disparues grâce à l’intelligence artificielle. Mais malgré un succès critique, l’émission, jugée trop coûteuse, n’est pas renouvelée. Un nouvel échec, une nouvelle blessure. Ardisson se sent floué, trahi par un service public qu’il accuse de ne pas avoir tenu ses promesses. Il se retire alors entre Paris et son refuge en Normandie, aux côtés de son épouse, la journaliste Audrey Crespo-Mara, son pilier et son ancre dans la tempête. Beaucoup le pensent alors à la retraite, profitant d’une vie plus calme, loin du tumulte parisien. C’était mal connaître le personnage.

“On n’est pas des punks à chien” : le retour en force et en “bling-bling”

Car Thierry Ardisson n’est pas du genre à contempler le passé. Son cerveau est une machine à concepts qui ne s’arrête jamais. Et le voilà qui frappe à nouveau à la porte de France Télévisions, non pas avec un projet discret, mais avec une émission qui porte sa signature : “France Bling”. Un titre provocateur, une promesse de faste et de culture assumée. Le concept ? Une émission hebdomadaire sur France 2 qui célèbrera “le génie français et le panache”. Il l’assure, ce ne sera pas une émission sur l’argent, mais sur l’excellence, le savoir-faire, de la gastronomie à la haute couture en passant par l’art.

“À France Télévisions, on a tendance à penser que le service public, c’est pour les pauvres. Mais non ! Le service public, c’est pour tout le monde. On n’est pas des punks à chien”, a-t-il lancé avec son sens de la formule habituel. Une pique à peine voilée à une certaine vision de la télévision publique, qu’il juge parfois trop frileuse. Avec “France Bling”, il veut redonner du rêve, de l’éclat, quitte à bousculer les codes et à faire grincer quelques dents. La direction de France Télévisions, consciente de l’aura et du talent du personnage, a cette fois-ci dit oui, lui offrant une case prestigieuse le samedi en fin d’après-midi.

L’homme derrière les lunettes noires

Ce retour en grande pompe révèle la complexité d’un homme qui a fait de son personnage une armure. Car derrière le cynisme et la provocation se cache une sensibilité à fleur de peau, celle d’un homme hanté par le vide, comme il l’a souvent avoué. L’agitation des plateaux, la reconnaissance du public, sont pour lui des remparts contre une angoisse existentielle. Sa vie entre son appartement parisien et sa maison en Normandie, où il avoue “se faire chier” malgré la beauté des lieux, illustre cette dualité. Il a besoin de la quiétude pour se ressourcer, mais ne peut se passer de l’adrénaline du direct et de la reconnaissance médiatique.

Son mariage avec Audrey Crespo-Mara a joué un rôle essentiel dans son équilibre. Elle est celle qui le comprend, le tempère, et qui a su trouver sa place à côté d’un monument aussi imposant, menant sa propre carrière avec brio. Leur couple fascine, mélange de deux générations et de deux univers qui se sont trouvés.

Le retour de Thierry Ardisson sur France 2 est bien plus qu’un simple événement télévisuel. C’est le symbole de la résilience d’un créateur hors normes, un animal à sang-froid qui refuse de disparaître. Provocateur, agaçant pour certains, génial pour d’autres, il reste l’un des derniers grands “bêtes de télé”, capable de créer l’événement par sa seule présence. Avec “France Bling”, il promet de nous éblouir et, sans aucun doute, de nous faire parler. L’homme en noir n’a pas dit son dernier mot. Le PAF peut recommencer à trembler.