Entre coups de génie et grosses déceptions, le Festival d’Avignon 2025 n’épargne personne, surtout pas le portefeuille. Ce cinquième jour marque un tournant dans le journal de bord de notre chroniqueur : après cinq spectacles payés à prix fort, l’équation est simple – trop de promesses, pas assez d’émotion. Peut-on encore être surpris sans se ruiner ? Où se cache la perle rare dans cette jungle théâtrale ? Un récit sans filtre, entre coups de gueule et amour du théâtre, pour ceux qui hésitent à sortir leur carte bleue. Cliquez sur le lien pour en savoir plus.

Cinquième jour sous le soleil d’Avignon, et je commence sérieusement à reconsidérer mes choix de vie. Ou du moins mes choix de programmation. Ce matin encore, j’étais plein d’espoir, le programme du Off à la main, entouré de compagnies enthousiastes en distribution de flyers et de comédiens surexcités hurlant dans les rues pour attirer le public. Moi, naïf, curieux, et un peu trop confiant, j’ai sorti ma carte bancaire. Résultat : trois spectacles, 61 euros, deux siestes impromptues, et une bonne crise de rire – malheureusement involontaire.

Premier arrêt : 10h, théâtre climatisé (ouf). Un monologue sur la douleur d’être végétarien dans une famille de chasseurs corses. Dit comme ça, ça semble original. Sur scène, une actrice seule, en robe rouge, avec un cerf empaillé en fond de décor. Elle crie, elle chante, elle tourne sur elle-même. À la trente-cinquième minute, je me demande si elle finira par adresser la parole au public. À la cinquantième, elle parle enfin, pour réciter un extrait de Rousseau. Rideau. Applaudissements polis. Et un regard inquiet échangé avec la dame assise à ma droite qui me murmure « je crois qu’on a raté le message… »

Je sors, déjà un peu désabusé. Deuxième tentative, 14h. Un duo clownesque contemporain. C’est écrit comme ça sur le programme : « Entre Beckett et Kaamelott ». Intrigué, j’y vais. Malheureusement, c’était plutôt entre une panne de micro et un fou rire incontrôlable des comédiens qui n’arrivaient pas à reprendre le fil. On pourrait saluer l’authenticité, sauf que le public, composé à 80 % d’amis et de parents visiblement, riait à contretemps. Moi, j’alternais entre gêne et fascination : comment peut-on autant se planter tout en gardant autant d’assurance ?

À ce stade, j’aurais dû rentrer à l’hôtel, me faire un sandwich et lire un bon livre. Mais non. 18h, je remets ça. Cette fois, c’est une adaptation “libre” de Roméo et Juliette, transposée dans une boîte de nuit berlinoise post-apocalyptique. Les Montaigu sont des hackers queer, les Capulet une famille de vendeurs d’armes, Juliette parle avec un vocodeur, Roméo porte une jupe en latex et hurle “AMOUR = RÉVOLUTION” toutes les cinq minutes. Il y a aussi un drone qui vole au-dessus du public. C’était peut-être brillant. Peut-être. Moi, j’ai eu un mal de crâne.

Et puis, alors que je m’apprêtais à rentrer en râlant, miracle. Un théâtre minuscule, 22h. J’entre sans conviction. Le spectacle s’appelle L’Oiseau d’en face. Un seul en scène, une chaise, une ampoule suspendue. Un comédien, la cinquantaine, raconte son enfance dans un HLM du nord de la France, les silences de son père, les dimanches tristes. Pas de cri, pas de mise en scène alambiquée. Juste lui, sa voix, son histoire. Et quelque chose se passe. Le silence dans la salle est total. On écoute, on ressent, on se souvient. À la fin, on ne sait pas si on doit applaudir ou pleurer. Et là, je me dis : ça y est, je l’ai trouvé. Mon moment de théâtre.

Alors oui, Avignon, c’est aussi ça. Beaucoup de bruit, d’ego, de vernis. Des spectacles à 25 euros qui n’en valent pas dix, des metteurs en scène qui confondent concept et confusion. Mais parfois, au détour d’une ruelle, dans un théâtre de poche, on tombe sur un bijou. Et là, on oublie tout.

Je rentre à l’hôtel, vidé, mais avec cette petite lumière intérieure qu’un bon spectacle allume. Demain est un autre jour. Mon portefeuille crie grâce, mais mon cœur, lui, bat un peu plus fort.