La Prophétie du Second Cycle (Partie 2)

Le Murmure du Vide

Cinq années s’étaient écoulées depuis que Caleb avait libéré Naïa, et avec elle, une partie de son âme. Il vivait désormais dans une petite ville côtière, loin de la poussière rouge de Zemboura, se nourrissant du silence et du bruit des vagues. Son ancienne ambition était morte, remplacée par une profonde sérénité, brisée seulement par la tâche qu’il s’était imposée : raconter son histoire, prévenir.

Il était devenu un homme mince, aux cheveux blancs prématurés, portant le poids d’une sagesse acquise au prix du néant. Mais son repos fut troublé une nuit de nouvelle lune, la même nuit qui, autrefois, le voyait s’agenouiller devant l’*Arbre du Néant*.

Il rêva de l’autel de la maison forestière. La bague, qu’il y avait laissée, brillait d’une nouvelle lueur rouge et malsaine. Et il entendit le rire, profond et glaçant, mais qui n’était plus celui de Naïa. C’était un rire d’homme, plein d’une soif de pouvoir nouvelle et dénuée de toute crainte.

Le Retour de l’Anneau

Le lendemain, Caleb sentit une urgence l’envahir. Il devait retourner à la forêt de Bantora. Il savait que Naïa, en le libérant, avait créé un vide. Le rôle de la Gardienne oubliée était de tester ceux qui convoitaient le pouvoir par le sang ; en s’en allant, elle avait laissé le champ libre. L’Arbre réclamait son *Prince* et n’importe quelle âme noire pourrait désormais répondre à l’appel.

Lorsqu’il arriva à la maison isolée, elle était ouverte. Le rideau cachant l’autel était déchiré. La bague de mariage — ce sceau d’union maudite et de libération — avait disparu.

Le village de Zemboura était en émoi. Les habitants parlaient d’un certain **Elias**, un homme d’une trentaine d’années, arrivé de nulle part. Il avait commencé par une petite échoppe, mais sa réussite avait été fulgurante, inexplicable. Il achetait tout, faisait plier les volontés, et son regard était d’un noir profond, sans la moindre lumière… comme deux puits sans fond. Caleb reconnut le motif : Elias était le nouveau Caleb, mais il avait une longueur d’avance. Il ne cherchait pas la richesse, il cherchait le cycle.

Le Dernier Sacrifice

Caleb rencontra Elias à la nuit tombée, non loin de la forêt. Le jeune homme portait un costume flambant neuf et, à son annulaire, la bague glissée sans douleur du doigt de Caleb.

« Je l’ai trouvée sur l’autel, » dit Elias avec un sourire narquois. « C’était un signe que je suis l’élu. Mais je n’ai pas eu besoin d’épouser une âme ancienne. Je savais que l’arbre n’attendait qu’un véritable guerrier. »

Caleb sentit la colère monter, mais il la transforma en pitié.

« Tu as pris la bague d’une femme qui a préféré la mort à la souillure, » répondit Caleb. « Tu es l’ambition, mais pas la détermination. Tu as sauté l’épreuve. »

« L’épreuve ? » Elias ricana. « J’ai juste coupé le cordon. J’ai compris que l’Arbre ne voulait pas d’un mariage, il voulait le sang. J’ai trouvé ma cible, une vraie innocente. Et ce soir, je lui offre un sacrifice que tu n’as jamais osé faire : une âme vierge et *vivante*. »

Elias pointa du doigt une silhouette attachée dans l’ombre de la maison. C’était une jeune fille, terrorisée. Le véritable cycle du sacrifice devait continuer, et Elias, dégagé de la contrainte du mariage-test imposée à Caleb, s’apprêtait à le parachever.

La Chute de l’Arbre

Caleb comprit que son rôle n’était pas de vaincre le nouvel aspirant par la force, mais de briser la structure même du culte. Elias, confiant dans sa puissance naissante, se dirigea vers la jeune fille, brandissant un couteau rituel.

Alors, Caleb se mit à parler, mais ce n’était pas sa propre voix. Il raconta l’histoire de Naïa, non pas comme un conte, mais comme une malédiction. Il parla de l’homme qui l’avait trahie dix-sept ans plus tôt, de son suicide dans le fleuve, du poids de la vérité. Ses paroles étaient des larmes noires, lourdes comme du plomb, imprégnées d’une repentance sincère.

Chaque mot de pardon et d’aveu de culpabilité frappait le sol comme un marteau. Le ciel, jusqu’alors clair, commença à gronder. Des fissures apparurent sur les murs de la maison.

« Tu as tort, Elias ! » cria Caleb. « L’Arbre ne veut pas du sang, il veut le *mensonge* ! Il se nourrit de ceux qui mentent devant l’invisible, comme je l’ai fait ! Mais le pardon brise son pouvoir ! »

Elias, déstabilisé, sentit la bague le brûler plus que jamais. Il tenta de se concentrer, mais la voix de Naïa – le murmure silencieux que seul Caleb pouvait entendre – se mit à résonner. *Le cœur de la vérité est le seul antidote*.

Soudain, l’air devint glacé. La jeune fille ligotée pleura, mais ses larmes gelèrent. L’ombre qui entourait Elias recula comme si elle était brûlée. Elias hurla, se sentant vidé, trahi par le pouvoir qu’il convoitait. Il retira la bague avec un cri et la jeta au sol.

Au même instant, au cœur de la forêt de Bantora, l’*Arbre du Néant*, ce figuier colossal nourri du sang des innocents, s’embrasa dans un silence absolu, sans flammes, mais réduit en cendres par une force spirituelle pure.

Elias fut retrouvé le lendemain, errant dans la ville, son esprit brisé. Il avait tout perdu, même son nom. Il n’était qu’un autre maillon de la chaîne, mais cette fois, le dernier.

Caleb délia la jeune fille et la reconduisit chez elle. Il retourna seul à la maison forestière, ramassa la bague calcinée et la jeta dans un fleuve en crue. Il ne revit plus jamais l’ombre de Naïa. Le cycle était enfin, et véritablement, rompu. Le prix de l’ambition avait été payé, non pas par le sacrifice d’un autre, mais par la mort et la renaissance d’une seule âme : celle de Caleb.